Pour la première fois, des fouilles archéologiques ont été conduites dans les Domaines Français de Sainte-Hélène, sur trois sites, Briars, Longwood et la vallée du Géranium, liés au séjour de Napoléon Ier sur l’île. Réalisées par le Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (UVSQ), sous l’autorité directe du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et avec l’appui du consul général honoraire de France, Michel Dancoisne-Martineau, elles ont livré des résultats préliminaires dévoilant les conditions de vie de l’empereur ; elles permettront peut-être aussi d’avancer de nouvelles hypothèses sur la cause de son décès.
L’île de Sainte-Hélène est un rocher volcanique d’environ 120 km2 (15 sur 10 kilomètres), planté au milieu de l’Atlantique Sud, et connu depuis le XVIe siècle. Au XIXe siècle, elle sert d’escale aux bateaux de la Compagnie des Indes orientales, au retour de l’Extrême-Orient. C’est aussi, pour les Britanniques, un lieu idéal de déportation des opposants politiques en raison de son isolement extrême (et de son absence de port directement accessible). Sans surprise, c’est là que les Anglais installent Napoléon Bonaparte en 1815, après la défaite de Waterloo. D’abord logé quelques mois dans le domaine luxuriant des Briars, en hauteur de la capitale, Jamestown, il déménage peu après à Longwood, dans les brumes humides, où il reste jusqu’à sa mort. Enterrée dans la vallée du Géranium, sa dépouille est exhumée 19 ans plus tard pour rejoindre Paris, à l’occasion du « Retour des cendres » salué par plus d’un million de personnes sur les berges de la Seine.
Le potentiel des Briars
Propriété de la famille Balcombe au moment du séjour de Napoléon, le résidence des Briars a fait l’objet de plusieurs campagnes de restauration depuis son entrée dans les Domaines Français en 1959. Une prospection a permis d’identifier, dans les sédiments entourant le bâtiment d’habitation (parking, jardins, voies d’accès), de nombreux, et potentiellement riches, éléments archéologiques : pipes hollandaises en céramique blanche, tessons de porcelaine de Chine, éclats de verre de bouteilles de gin britannique et de vin de Constance d’Afrique du Sud, plomb de pêche, ardoise d’Écosse, etc. Une île donc certes géographiquement isolée, mais au centre d’un commerce international particulièrement actif témoignant d’intenses échanges de biens alimentaires et de loisirs.
Longwood n’a pas tout dit
Afin de mieux connaître les conditions de vie de l’empereur déchu, trois sites ont été ciblés pour des sondages archéologiques : des toilettes, situées initialement dans la partie ouest du jardin (« privy »), et deux lieux d’accumulations de détritus d’origine domestique. La localisation précise des latrines a pu être établie et va faire l’objet d’investigations plus poussées lors d’une campagne de fouilles ultérieure ; toutefois les premières étapes de dégagement ont mis au jour quelques éléments matériels comme des boutons de chemise et un pot à pommade dont l’étude toxicologique permettra de préciser le contenu originel.
Dépôts de détritus
Lors du percement, il y a une dizaine d’années, d’une voie d’accès à l’arrière du bâtiment de Longwood, les terrassiers ont dégagé accidentellement près d’une centaine de bouteilles et flacons initialement jetés de l’autre côté du muret qui délimitait la propriété côté sud. Deux sondages ont donc porté sur ces lieux de dépôt des détritus issus de la consommation alimentaire des habitants de Longwood. Menés jusqu’à une profondeur maximale de 120 centimètres, ils ont livré un important matériel céramique et de tessons de verre, ainsi que des éléments provenant de restaurations anciennes de l’habitation, notamment pendant le séjour de l’empereur. Des ossements animaux ont également été identifiés (os longs d’ovi-capridés et de gallinacés, vertèbres de poissons de gros et petits calibres) avec des traces de découpe, témoignant de techniques de préparation tantôt occidentale, tantôt extrême-orientale, à mettre en rapport avec la présence de cuisiniers chinois au service de l’empereur. L’étude archéozoologique précise est encore en cours à l’Institut de Paléontologie humaine sous la direction de Marylène Patou-Mathis.
Philippe Charlier
Directeur du Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (UFR des Sciences de la Santé Simone Veil, UVSQ)
Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 628 (février 2024)
Mystérieux cerfs-volants du désert
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