
Au cœur de l’Hérault, les Gaulois occupèrent l’oppidum d’Ensérune du VIIe siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère. Des fouilles menées depuis le début du XXe siècle ont livré magasins, maisons et nécropoles. Depuis juillet, le musée offre un nouveau parcours de visite, modernisé et absolument convaincant, des fabuleuses collections mises au jour sur le site.
Début du XXe siècle. Entre Narbonne et Béziers, la colline d’Ensérune attire la curiosité des archéologues locaux, car plusieurs monnaies, tronçons de remparts, silos et autres objets prometteurs y ont été découverts par l’abbé Giniès, curé d’un village voisin. Un site archéologique d’envergure se cacherait-il sous les pentes escarpées de ce monticule ? Afin d’en avoir le cœur net, l’érudit local Félix Mouret (1862-1939) achète en 1915 une partie des vignes qui couvrent ce plateau et entame des fouilles minutieuses. Le sol ne tarde pas à livrer ses précieux secrets. Couronnement de ses recherches : la découverte d’une nécropole de centaines de tombes à incinération, regorgeant de richesses insoupçonnées, dont l’une des plus importantes collections de vases grecs, ibères, romains et d’armements celtiques du sud de la France. En 1923, l’abbé Sigal (1877-1945) arrive en renfort, s’intéressant plus particulièrement à l’habitat : il dégage des remparts, une rue et plusieurs quartiers d’habitations à flanc de coteau. Un oppidum, type d’habitat caractéristique de la Gaule méridionale, est identifié : la position en hauteur, les puissantes fortifications et le plan d’urbanisme régulier le confirment. À la fin des années 1950, deux professeurs d’archéologie issus de l’École française d’Athènes prennent le relais en installant à Ensérune le chantier-école de l’université de Montpellier : Jean Jannoray (1909-1958), puis Hubert Gallet de Santerre (1915-1991). Sous leur houlette, des générations d’étudiants se forment en fouillant le site de façon méthodique. Une vaste terrasse de silos au pied de la colline ainsi que des quartiers d’habitats dotés d’une architecture « à la romaine » sont mis au jour. À l’issue de ces recherches approfondies, les connaissances ont fortement progressé sur ce lieu, dont le nom antique demeure toutefois inconnu. Il a été habité sans interruption pendant sept siècles et trois phases d’occupation sont identifiées : de 575 à 450 avant notre ère, de modestes cabanes en torchis et un premier rempart sont édifiés, tandis que des silos sont creusés dans le rocher pour stocker les provisions. De 450 à 200, l’une des plus importantes agglomérations celtiques de la Gaule méridionale prend son essor : plate-forme dynamique à la croisée des voies terrestres et maritimes, elle rayonne par ses échanges économiques et culturels avec les différentes civilisations méditerranéennes ; formées par de puissants remblais sur les pentes nord et sud, des terrasses accueillent des constructions ; les maisons en pierre sont desservies par un important réseau de rues ; la nécropole s’implante alors à l’ouest. Après s’être étendue sur les flancs de la colline et s’être par endroits romanisée dans son architecture, la ville est progressivement désertée au Ier siècle de notre ère.
Parcours spectaculaire et pédagogique
Fruit d’un siècle de fouilles, l’impressionnant parc archéologique d’Ensérune est ouvert au public depuis les années 1950 : près de deux hectares de vestiges de remparts, d’habitations, de silos et de citernes dominent la plaine, attirant en nombre les passionnés d’archéologie comme les randonneurs en vacances sur la côte méditerranéenne. Depuis le 6 juillet, ces curieux peuvent bénéficier du nouveau circuit de visite, intégralement repensé pour faciliter la compréhension des lieux. Après avoir pénétré dans le site par un pavillon d’accueil flambant neuf (billetterie, boutique, librairie), le parcours commence par une imprenable vue à 360° depuis une terrasse panoramique : en un instant, le regard embrasse la plaine languedocienne, les montagnes des Pyrénées, la côte méditerranéenne, le canal du Midi et la voie domitienne. Une vue aussi spectaculaire qu’instructive qui permet de bien comprendre la position stratégique de carrefour occupée par l’oppidum. Cet aménagement récent présente aussi l’avantage de donner, dès l’arrivée, une vision d’ensemble sur les vestiges, que ne permettait pas l’ancienne configuration. Ensuite, libre au visiteur de partir à leur exploration, guidé par les chemins piétonniers redessinés : suivre ses remparts, découvrir ses champs de silos, se perdre dans ses anciens quartiers, s’attarder dans la nécropole…
Renaissance du musée
Au milieu de ce parcours, une surprise l’attend : un musée, où sont conservés les objets, précieux et évocateurs, découverts lors des fouilles. Quand il est édifié en 1937, il est alors l’un des premiers musées archéologiques de site. « Depuis, les objets s’entassent dans les vitrines, au fur et à mesure de leur découverte, sans aucune visée de médiation. Tant et si bien qu’au début du XXIe siècle, on en comptait plus de 10 000 ! », se souvient Lionel Izac, l’administrateur du site. « Difficile de voir clair dans cet inextricable fouillis livré au regard des curieux sans aucune explication. » Pour dépoussiérer et valoriser ces collections dormantes, un ambitieux chantier de réaménagement a été lancé en 2019 par le Centre des Monuments nationaux, qui gère le site depuis 2008. Objectif principal : reconnecter ces collections au contexte archéologique. « Jusqu’à présent, les visiteurs ne poussaient pas nécessairement la porte de ce bâtiment, planté au milieu du parc sans être intégré au circuit de visite, rappelle Lionel Izac. Le voilà désormais inclus comme une étape du parcours ! Pour que le public comprenne qu’il reste dans l’oppidum quand il entre dans le musée, un aperçu de la crypte archéologique située sous le bâtiment montre bien que les vestiges continuent sous ses pas. » Ce souci de contextualisation a inspiré l’ensemble du nouveau parcours permanent : des maquettes, des aquarelles, des vidéos et divers autres dispositifs multimédias ponctuent les quatre sections principales, pour redonner vie aux 1 200 pièces sélectionnées et, ainsi, améliorer leur compréhension.
La séquence qui ouvre le parcours évoque la position de carrefour du site dans l’Antiquité : à la croisée des peuples celtiques, ibères, grecs, orientaux, étrusques puis romains, la cité est née d’un riche métissage culturel : 50 précieux objets d’art découverts sur place par les archéologues ont été sélectionnés pour mettre en lumière ces différentes influences. Nourri par ces apports, un village croît pour devenir une cité prospère : la deuxième section décrit ces différentes phases d’occupation et invite le visiteur à partager le quotidien des Anciens. « Un enjeu important de cette séquence est de sortir de l’imagerie du petit village gaulois, pauvre, à la population un peu frustre, en donnant à voir une agglomération dynamique, qui comptait parmi les plus grandes du Midi de la France. Enjeu d’autant plus crucial qu’Ensérune est la seule cité celtique de la région équipée pour être visitée par le public. » D’où l’insistance sur l’artisanat (à travers un atelier de travail du corail, la forge), l’écriture (grâce à une importante série de graffitis visibles sur des céramiques), la consommation de vin ou la pratique du banquet… Une maquette urbaine permet de visualiser l’important réseau de quartiers et de rues qui couvrait la colline sur une dizaine d’hectares, tandis que la restitution d’une domus aristocratique, fouillée par les archéologues, donne un aperçu du luxe et du raffinement de l’élite.

Après les vivants, les morts !
La troisième section s’intéresse à l’impressionnante nécropole celtique découverte à l’ouest de l’oppidum et reconstituée par une maquette à l’entrée de la salle : composée de près de 500 tombes à incinérations, elle fait partie des trois plus belles connues en France. C’est sa découverte, authentifiée en 1916, qui amène le ministère des Beaux-Arts à conserver les collections sur place et qui redouble l’intérêt des archéologues pour Ensérune. Et pour cause : les plus précieuses pièces se trouvaient enfouies dans le sol de ce vaste cimetière. Leur mise au jour a grandement éclairé les connaissances sur les rites funéraires celtiques de cette époque : les défunts étaient incinérés ; au début, leurs cendres étaient enterrées dans une fosse ; puis, l’habitude de les recueillir dans un vase ossuaire s’imposa ; des objets personnels du mort (armes, bijoux…) ainsi que des offrandes alimentaires étaient déposés à côté de ses restes, pour l’accompagner dans ce repos éternel. Une vidéo recrée l’ambiance qui régnait jadis dans ce lieu mortuaire, à travers les sons, les parfums, les animaux… Une fois ce cadre planté, place à une quinzaine de tombes, sélectionnées pour leur représentativité ou leur originalité : des modestes, des très riches, des doubles ; l’une est restituée à l’instant de l’enterrement des objets, l’autre au moment de leur découverte. Envie de se mettre dans la peau des archéologues ? Le visiteur peut fouiller virtuellement la dernière tombe mise au jour (2000), grâce à une grande tablette graphique.
Dans la dernière salle, consacrée au travail de classement mené par les scientifiques, trône le fleuron de la collection : l’ensemble exceptionnel de 500 vases antiques découverts à Ensérune ! Ils sont exposés dans les armoires à vitrine dessinées et créées par le Louvre, au moment du rachat de la collection à Félix Mouret et de l’ouverture du musée. Ce cabinet d’étude avait été conçu dans la perspective de publier la collection au sein du Corpus Vasorum Antiquorum, ouvrage initié par le conservateur Edmond Pottier pour recenser l’ensemble des vases produits en Méditerranée dans l’Antiquité. Fruits de ce travail, les planches de cette publication défilent en regard. Des infographies livrent quelques clés pour mieux comprendre les différents vases, en retraçant l’évolution de leurs formes au fil des siècles ou en restituant leurs motifs de façon plus lisible. Le visiteur est lui-même invité à prendre part à ce travail de classement, à travers un dispositif multimédia qui propose de regrouper les vases ou les décors celtiques par typologie. En plus du remaniement de son parcours permanent, le musée bénéficie désormais d’un espace d’exposition temporaire, d’un espace pédagogique installé dans la maison des fouilleurs, de conditions de conservation (chauffage, éclairage…) améliorées et d’une accessibilité pour tous. « Au fantaisiste cabinet de curiosité d’antan, succède un véritable musée du XXIe siècle !, se réjouit Lionel Izac. Une page se tourne dans l’histoire de cette collection de rang national ! ».
Marie-Amélie Blin
Site archéologique d’Ensérune
34440 Nissan-les-Ensérune
Tél. 04 67 32 60 35
www.monuments-nationaux.fr
L’exposition « Ensérune, le musée se dévoile » est visible jusqu’au 31 décembre 2022.