Lors d’une cérémonie, qui s’est déroulée à New York le 7 septembre 2023, neuf panneaux de mosaïques officiellement considérés comme des antiquités pillées sur un site archéologique du Liban ont été remis à ce pays par l’unité de lutte contre le trafic d’antiquité (ATU), qui œuvre auprès du procureur du district de Manhattan. Pourtant, huit de ces panneaux semblent bel et bien être des productions du XXe siècle ! En effet, tous copient des modèles antiques célèbres mis au jour en Tunisie, en Algérie, en Italie ou en Turquie… comme nous le démontrerons dans cet article.
Pour mener leurs enquêtes sur le trafic d’antiquités, des officiers aguerris et infatigables ont besoin de juristes affutés, mais aussi d’archéologues qui doivent réaliser un travail consciencieux et en toute indépendance.
De la nécessité d’expertises scientifiques rigoureuses
Le premier enjeu d’une expertise scientifique réside dans la détermination de l’authenticité de l’objet. Le marché de l’art des antiquités est en effet inondé de pièces fausses, dont le nombre semble sous-estimé ; il arrive ainsi que des faux soient considérés comme des pièces pillées. Citons la mosaïque recherchée par Interpol depuis mai 2012, décrite comme une pièce romaine « pillée » en Syrie, mais qui serait en réalité une copie d’une célèbre mosaïque de Pompéi ou encore celles figurant dans un rapport du projet Athar (The Antiquities Trafficking and Heritage Anthropology Research) concernant des pièces également « pillées » en Syrie et vendues sur Facebook.
Si c’est pillé, c’est vrai !
Les trafiquants eux-mêmes rassurent ainsi de potentiels acheteurs sur l’authenticité des objets en les montrant tout juste sortis de terre, avant leur restauration. Pour les acheteurs peu regardants sur la législation et le patrimoine, l’idée est la suivante : si c’est pillé, c’est vrai !… Les non-connaisseurs n’en sont pas moins trompés lorsque des trafiquants font croire à des pillages afin de mieux vendre leur faux. Cela dit, le procédé de mise en scène d’une découverte en réenfouissant ou en dégradant l’objet pour lui donner un aspect plus vieux n’est pas nouveau puisqu’il était déjà pratiqué à la Renaissance… Si l’original est bien connu ou le faux maladroit, la supercherie sera néanmoins vite mise au jour par les scientifiques dont le rôle est crucial dans la recherche de provenance de pièces saisies, ou susceptibles de l’être. Pour une pièce volée, le lieu de découverte peut être retrouvé plus ou moins facilement si elle a été publiée. En revanche, parce qu’un objet issu d’une fouille clandestine est rarement documenté, l’identification du site pillé ou même la démonstration que l’objet est issu d’un pillage sont plus délicates. L’analyse des caractéristiques matérielles, stylistiques et iconographiques de l’objet aide cependant à établir des hypothèses solides sur la région du présumé pillage. Enfin les analyses archéométriques peuvent compléter l’étude archéologique traditionnelle.
Fausses fouilles et vrais modèles
Dans le dossier qui concerne neuf mosaïques remises au Liban le 7 septembre 2023, nous ne pouvons pas juger de la rigueur de l’éventuel rapport scientifique sur ces objets car seul est accessible au public le document de mise en examen contre leur propriétaire, le libanais Georges Lotfi, à la suite d’une saisie de vingt-quatre « antiquités » dans ses entrepôts du New Jersey. Dans ce document, rédigé en mars 2022, les neuf mosaïques sont présentées comme romaines et, sans justification, comme caractéristiques du Liban. Avec une argumentation qui laisse de côté une étude des pièces elles-mêmes et qui ne se base que sur des indices « circonstanciels », le rédacteur tente, par ailleurs, de démontrer que les mosaïques ont été pillées sur un site archéologique. Les autres biens saisis sont considérés comme pillés en Syrie. Il s’agit d’un bas-relief de Palmyre et de quatorze panneaux de mosaïques. Quelles que soient leur provenance et leur authenticité, toutes les mosaïques auraient transité par le Liban avant d’être acheminées à New York, en 1987-1988, soit directement, soit en passant par Genève. Selon les enquêteurs américains, toutes les pièces constituent des propriétés volées car le collectionneur libanais qui les détenait n’avait ni permis d’exportation antérieur à 1963 pour les pièces provenant de Syrie ni permis d’exportation du Liban. Il aurait donc enfreint les lois patrimoniales de ces pays, ce que l’intéressé conteste.
Des copies du XXe siècle
Si ce n’est pas notre rôle de nous prononcer sur ces affaires juridiques et sur les culpabilités, c’est notre métier et notre devoir de chercheur de discuter d’hypothèses qui nous semblent inexactes concernant des vestiges archéologiques. Il nous paraît exclu que les neuf mosaïques proviennent du Liban et soient issues de fouilles clandestines ; en effet, de simples comparaisons iconographiques démontrent que huit sont des copies du XXe siècle basées sur des modèles bien connus issus du bassin méditerranéen. Une trop grande importance semble avoir été accordée par les policiers à des photographies de trafiquants montrant quatre mosaïques sales, en extérieur. Loin de documenter des fouilles clandestines, elles ont vraisemblablement servi à tromper des acheteurs crédules.
Djamila Fellague
Maîtresse de conférences, université de Grenoble Alpes, chercheuse au Luhcie, chercheuse associée à Arar et à l’IRAA
À retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 629 (mars 2024)
Pour une archéologie de la forêt
81 p., 11 €.
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