La découverte de charbon dans les tracés de certains dessins de la grotte de Font-de-Gaume fournit des indications sur les techniques picturales des artistes ainsi que la possibilité d’une datation directe du décor d’une des plus anciennes grottes ornées connues.
Font-de-Gaume, dont le décor fut identifié en 1901, est la seule grotte ornée aux peintures polychromes à être encore ouverte au public en France. Ces dernières ont longtemps été considérées comme homogènes et contemporaines de celles de Bernifal, des Combarelles et de Rouffignac, attribuées au Magdalénien moyen (entre 19 000 et 16 000 ans) – en raison de la présence, dans ces cavités, de signes tectiformes (signes rappelant un toit) supposés être l’expression d’un même groupe de chasseurs-cueilleurs. Pourtant, des ressemblances furent notées entre certaines de ses représentations et celles de la grotte de Lascaux, plus ancienne, dont la datation vient d’être réévaluée autour de 21 000 ans (Magdalénien ancien), par une nouvelle analyse des vestiges archéologiques mis au jour sur son sol. L’abbé Henri Breuil, le premier à avoir étudié Font-de-Gaume, attribuait quant à lui la décoration de certains secteurs au Gravettien (entre 34 500 et 25 000 ans). Ce flou chronologique est, hélas, le lot de nombreuses grottes ornées, dont il est impossible de dater directement le décor, puisque les tracés noirs furent réalisés au manganèse. Fort heureusement, l’analyse technologique et minéralogique réserve quelques surprises.
Sous le manganèse, le charbon
Il semble en effet que, sous les dessins au manganèse, on puisse parfois identifier des esquisses exécutées au charbon, datable par le radiocarbone. C’est ainsi qu’un fragment a été retrouvé sur la patte arrière d’un grand taureau de la rotonde de Lascaux, malheureusement non exploitable. En revanche, certains bisons de la grotte de Niaux (Ariège) ont pu être directement datés du Magdalénien moyen, grâce aux charbons identifiés derrière le tracé principal. Un nouvel espoir est apparu pour Font-de-Gaume avec des analyses non invasives (qui ne nécessitent aucun prélèvement) pratiquées en 2020. Surprise ! Non seulement des dessins au manganèse comportaient des traces de charbon (dont une ligne esquissée pour un renne), mais un bison s’est révélé avoir entièrement été tracé grâce à ce matériau ! Il n’est pas indifférent de noter qu’il est moins élaboré que les autres situés à proximité : est-ce une esquisse qui n’a pas été exploitée, un dessin contemporain réalisé dans un style différent ou bien l’œuvre d’un artiste d’une période plus ancienne ? Il reste à espérer que les charbons ne soient ni pollués ni altérés et qu’ils puissent fournir des datations radiocarbones. Une nouvelle vie commence pour la grotte de Font-de-Gaume !
Romain Pigeaud
PhD-HDR, UMR 6566 « CReAAH » du CNRS, université de Rennes-1, CRAL (UMR 8566 EHESS/CNRS)
Pour aller plus loin :
DEMAILLY S., 1990, « Premiers résultats de l’étude des peintures rupestres concernant la grotte de Lascaux », dans Collectif, 50 ans après la découverte de Lascaux, Actes des Journées internationales d’étude sur la conservation de l’art rupestre, Périgueux, coédition Groupe Art rupestre de l’ICOM pour la conservation / Office départemental de tourisme de la Dordogne, p. 101-116.
DUCASSE S., LANGLAIS M., 2019, « Twenty years on, a new date with Lascaux. Reassessing the chronology of the cave’s Paleolithic occupations through new 14C AMS dating », PALEO, varia, 30 (1), p. 130-147. Doi : 10.4000/paleo.4558 REICHE I. et al., 2020, « Analyses non invasives in situ des œuvres préhistoriques de la grotte de Font-de-Gaume pour une meilleure connaissance du décor pariétal polychrome et de son organisation », PALEO, varia, 30 (2), p. 262-269. Doi : 10.4000/paleo.5707
REICHE I. et al., 2023, « First discovery of charcoal-based prehistoric cave art in Dordogne », Science Report, 13, 22235. Doi : 10.1038/s41598-023-47652-1