
Située au large de Cannes, non loin de l’île Sainte-Marguerite, l’épave Fort-Royal 1 tient son nom de la principale fortification édifiée sur cette île au XVIIe siècle, célèbre pour avoir accueilli en captivité le mystérieux homme au masque de fer, de 1687 à 1698. Identifié il y a quelques années, ce navire de commerce daté de l’époque hellénistique a ensuite malheureusement fait l’objet d’un pillage intense avant qu’une campagne de fouilles n’en dévoile, en 2023, les richesses insoupçonnées.
L’épave est officiellement déclarée auprès du Drassm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) en 2017 par Anne Lopez et Jean- Pierre Joncheray, pionniers de l’archéologie sous-marine en Provence, à la suite d’une campagne de prospections sous-marines autour des îles de Lérins. L’existence de ce site leur avait en effet été signalée par un tiers, amateur de plongée sous-marine et des épaves, avant sa mort.
Premières fouilles
Un premier sondage est alors autorisé par le Drassm, mettant en évidence, dès 2019, la présence d’une vingtaine d’amphores gréco-italiques datées entre le IIIe et le IIe siècle avant notre ère, éparpillées à environ 20 mètres de profondeur. Par ailleurs, cette opération et la remontée du mobilier sont médiatisées et, dès lors, la présence d’un gisement d’amphores dans la région la plus « plongée » de France n’est plus un secret…
Les traces d’un pillage
En raison de l’épidémie de la Covid-19, deux années s’écoulent avant une nouvelle et très courte mission d’expertise du Drassm. Elle dévoile une partie encore en place de la cargaison et du navire sous-jacent. Les amphores apparaissent bien rangées, les unes contre les autres, et des vestiges de la coque sont identifiés. Malheureusement, l’équipe observe aussi les indices d’un pillage. Une dénonciation est portée auprès du parquet de Marseille et un projet scientifique de fouille élaboré dans l’urgence pour étudier cette épave, pressentie comme majeure pour la période hellénistique (IVe -Ier siècle avant notre ère). La protection du site et l’attention des autorités sur le risque de pillage n’empêchent malheureusement pas, durant les mois suivants, sa prédation par quelques plongeurs cupides.

Une campagne de fouille en 2022
En avril 2022 se tient finalement la première campagne de fouille programmée sous la direction conjointe des deux auteurs de cet article. Lors des premières plongées, l’équipe constate l’étendue du pillage : l’épave a été éventrée sur toute sa longueur par de longues tranchées pratiquées dans la matte de posidonies. Ici, on retrouve un tas de cols de céramiques cassés et grossièrement empilés au milieu d’innombrables fragments ; là, des restes d’amphores décapitées jonchent les abords du site. Ce spectacle de désolation est d’autant plus navrant que le délit est manifestement très récent, voire toujours en cours. Les outils (piques, scies, pelles, ballon destiné au levage des amphores dégagées) des pilleurs sont encore éparpillés… Compte tenu de la surface de la zone désormais vidée de son mobilier et de la densité de matériel observée les années précédentes, le nombre d’amphores dérobées est estimé aux alentours d’une cinquantaine – sans que l’on puisse évaluer la quantité de petits objets (céramiques, vaisselle fine, éléments métalliques, etc.) qui a aussi pu être dérobée. Seul soulagement, les sondages montrent que les bois du bateau n’ont pas été endommagés.
Protéger l’épave
La découverte d’un tel pillage suscite une réaction rapide de l’État. Le ministère de la Culture porte plainte, entraînant l’ouverture d’une enquête confiée à la brigade de recherche de la gendarmerie maritime de Marseille. Le lieu fait dès lors l’objet d’une interdiction de mouillage pour les navires et de la pratique de la plongée. Les deux semaines de fouille programmée, destinées à mieux comprendre ce bateau et sa cargaison, se transforment finalement en sauvetage d’urgence d’une zone sinistrée. L’espoir demeure toutefois car, si un certain nombre de données est irrémédiablement perdu, une importante partie du site semble encore préservée sous le sédiment et l’épaisse matte de posidonies. À la fin de cette mission, une protection est mise en place : 30 tonnes de sable sont déversées sur l’épave afin de compliquer grandement la tâche de qui voudrait encore tenter d’en extraire des vestiges archéologiques.
Une perquisition fructueuse
Pour autant, en ce printemps 2022, l’histoire de l’épave Fort-Royal 1 n’est pas terminée ! Moins d’un mois après la découverte du pillage, les agents du Drassm sont appelés par les gendarmes de la brigade de Marseille pour accompagner une perquisition dans le garage d’un particulier à Antibes. 90 amphores, entières pour la plupart, sont récupérées ainsi que de nombreux autres objets. Si cette saisie permet de retrouver une partie du mobilier pillé, elle ne compense malheureusement pas la destruction d’informations archéologiques résultant du pillage. Les découvertes de la campagne 2023 l’ont ensuite rappelé avec force.

Franca Cibecchini, Drassm
Pierre Poveda, Aix-Marseille Université, CNRS, CCJ, Aix-en-Provence

À retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 624 (octobre 2023)
Peste et épidémies, les révélations de l’archéologie
81 p., 11 €.
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