Vers 1280, l’empire mongol s’étend des plaines de Mongolie à l’extrême sud de la Chine, de l’océan Pacifique aux confins du Moyen-Orient et à la Pologne, couvrant plus de 22 % des terres du globe. Si Gengis Khan est le premier à avoir fédéré les tribus des steppes mongoles et à s’être lancé à l’assaut des territoires voisins, la conquête, à sa mort, ne fait que commencer. L’exposition du château des ducs de Bretagne – musée d’histoire de Nantes retrace l’histoire de la construction et de la gestion de cet immense empire qui, par les échanges qu’il a suscités, a considérablement élargi le monde médiéval des XIIIe et XIVe siècles. Explications des trois commissaires de l’exposition, Bertrand Guillet, directeur du musée, Marie Favereau, maître de conférences en histoire, et Jean-Paul Desroches, conservateur général honoraire et archéologue.
Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier.
L’exposition frappe d’emblée par son titre, « Gengis Khan. Comment les Mongols ont changé le monde », qui accorde un rôle prééminent aux Mongols. L’intention est-elle de bouleverser la perception négative attachée à Gengis Khan ?
Bertrand Guillet : Gengis Khan a en effet laissé l’image de ces hordes sanguinaires parties à l’assaut du monde et détruisant la moitié de l’Europe. Cette vision est largement liée aux récits qui en ont été faits par les chroniqueurs des pays conquis. En réalité, la violence mongole a été identique à celle de bien d’autres conquêtes, et l’empire de Gengis Khan et de ses descendants est loin de se réduire à cette phase guerrière. Il ne se comprend que si l’on s’attache à étudier, comme le font les historiens depuis Joseph Fletcher (1934-1984), sa gestion et les échanges que la pax mongolica a rendu possibles
Marie Favereau : Le titre de l’exposition traduit aussi la dimension collective du pouvoir mongol. Si l’empire commence avec Gengis Khan, il ne se résume pas à un seul homme. Les sources le montrent bien : non seulement ce dernier a été dépassé par ses successeurs qui poussent les conquêtes beaucoup plus loin, mais il a mis en place des institutions qui instaurent un pouvoir collectif. La spécificité du système politique mongol est bien perçue par les contemporains, qui reprennent le terme de « horde » tel quel, sans le traduire, dans leur langue – le persan, l’arabe, le latin – dès la première moitié du XIIIe siècle. L’exposition cherche également à montrer que les Mongols, en conquérant les trois quarts de l’Eurasie, ont non seulement imprimé leur marque sur les territoires et leurs populations, mais qu’ils ont aussi été influencés par les autres peuples. C’est le mélange de ces différentes cultures qui constitue le fondement même de l’empire.
L’exposition commence bien avant Gengis Khan et présente des objets qui datent de l’Âge du bronze. Pourquoi remonter si loin ?
Jean-Paul Desroches : Le récit national mongol a longtemps é té centré sur la figure de Gengis Khan, considéré comme le fondateur du pays. Or les nombreuses découvertes archéologiques réalisées depuis la fin de l’ère soviétique, notamment par des équipes turques, allemandes et françaises, et l’ouverture de la Mongolie à partir des années 1990, ont permis de reconsidérer la place des Mongols et de voir à quel point ils s’inscrivent dans le prolongement des différents empires qui ont précédé. Le premier d’entre eux, l’empire des Xiongnu (IIIe siècle avant notre ère – IIe siècle de notre ère), reposait déjà sur l’usage de l’arc et le cheval monté avec selle et étriers. On construisait également des chars, comme en témoignent ceux retrouvés au sein des sépultures du site de Gol Mod et qui étaient orientés vers l’est pour mieux remplir leur fonction psychopompe (transporter les âmes vers l’au-delà). Dès ce premier empire des steppes, les échanges commerciaux étaient nombreux : les tombes ont révélé, aux côtés de produits locaux, des perles de verre romaines ou des pièces d’argenterie grecque. Les Xiongnu n’étaient pas de simples cavaliers nomades qui ne faisaient que passer : les vestiges d’une vingtaine de places fortes ont déjà été mis au jour.
B. G. : L’exposition vise à resituer Gengis Khan dans un contexte plus large, en montrant les éléments fondamentaux de continuité avec les trois empires précédents : après les Xiongnu, ce seront les Türks aux VIIe et VIIIe siècles, puis les Kitan-Liao des Xe et XIe siècles. Nous remontons encore avant, jusqu’aux pétroglyphes de l’Altaï dont les plus anciens datent de 11 000 ans avant notre ère et aux restes de mammouths laineux, bien avant la domestication du cheval en Asie (3000 avant notre ère), pour faire comprendre le milieu des steppes qui était celui des Mongols.
Comment expliquer la construction de l’immense empire mongol ?
M. F. : Il faut bien avoir à l’esprit que l’histoire de l’empire n’a pas été celle d’une conquête fulgurante suivie d’une paix mongole : en réalité, la conquête et l’intégration des populations, qui deviennent sujets de l’empire, ont été étroitement imbriquées tout au long du XIIIe siècle et c’est sans doute là l’une des clés du succès. Un autre élément d’explication réside dans la stratégie militaire des Mongols : c’est l’hiver qu’ils lançaient leurs attaques et l’emportaient contre des sociétés habituées à faire la guerre pendant l’été. On sait aussi désormais que les armées n’étaient pas seulement composées d’archers à cheval : elles intégraient des catapultes et les dernières technologies développées par les Chinois ou les Tanguts en matière d’armement.
J.-P. D. : Il est intéressant de mettre les différents empires en résonance les uns avec les autres. Les empires qui ont précédé l’empire mongol sont nés à chaque fois d’une crise climatique, d’une grande sécheresse qui les a poussés à conquérir des terres au-delà de leurs frontières. Cela conduit peu à peu à un empire dilaté, qui devient difficile à gouverner et qui ne dure, à chaque fois, que le temps de deux ou trois générations ; puis les choses sont reprises en main et un pouvoir s’installe sur de nouvelles bases.
Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 625 (novembre 2023)
Saint-Denis révélée par l’archéologie
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com
« Gengis Khan. Comment les Mongols ont changé le monde »
Jusqu’au 5 mai 2024 au château des ducs de Bretagne
4 place Marc Elder, 44000 Nantes
Tél. 0 811 46 46 44
www.chateaunantes.fr