L’unique cimetière protestant de Lyon a été fouillé par le Service archéologique de la Ville en 2015-2016 avant la réhabilitation de l’Hôtel-Dieu. Daté des XVIIe et XVIIIe siècles, il a révélé plusieurs anomalies susceptibles de témoigner du climat très particulier qui régna dans la ville à la suite de l’édit de Fontainebleau, révoquant en 1685 celui de Nantes.
Privés de nécropole depuis 1567 et la mise à sac du temple des Terreaux, les réformés lyonnais se voient accorder en 1600, peu après l’édit de Nantes (1598), un terrain situé au nord du cloître de l’hôpital installé en rive droite du Rhône. La construction de nouveaux bâtiments entraîne en 1629 un déplacement de cet espace funéraire. En 1682, il est à nouveau déplacé au nord de la cour de la Pharmacie de l’Hôtel-Dieu. Son emprise a régulièrement évolué. Il occupe sur les plans du milieu du XVIIIe siècle un espace trapézoïdal de 234 m2 et atteint près de 364 m2 après sa dernière extension à l’ouest. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 entraîne la fermeture de cet espace funéraire de l’Hôtel-Dieu, y compris pour les réformés étrangers, désormais contraints d’enterrer leurs proches dans leurs jardins. Ils obtiennent finalement en 1692 la réouverture de ce cimetière pour les étrangers non catholiques, qui comporte aussi à partir de 1659 un espace réservé aux juifs.
Un cimetière protestant privilégié
En 1719, l’ambassadeur des Provinces-Unies (les Pays-Bas) déplore l’absence d’espace sépulcral pour inhumer les protestants étrangers résidents à Paris, au contraire de Lyon et Marseille. C’est dire le caractère exceptionnel de celui de l’Hôtel-Dieu qui accueille dès 1702 les dépouilles de ceux refusant de se convertir au catholicisme. Les cercueils arrivent alors à l’Hôtel-Dieu escortés par le chevalier du Guet, commandant la troupe chargée de la sécurité de la ville, pour y être enterrés de nuit. L’hôpital facture aux familles ces prestations, minutieusement enregistrées dans un registre (transcrit par notre collègue Cyrille Ducourthial). La fouille intégrale de cet espace au sein de la cour de la Pharmacie, réalisée en 2015-2016 à la suite d’une prescription du Service régional de l’archéologie, permet aujourd’hui d’évaluer directement le sort des dépouilles des réformés au sein d’un établissement catholique.
Un cimetière en apparence classique
Cet espace funéraire est conforme à ce que l’on peut attendre à cette période en secteur urbain. Les études anthropologiques, réalisées sous la direction d’Isabelle Bouchez et d’Arnaud Tastavin, révèlent que les individus sont surtout des hommes plutôt privilégiés et en bonne santé. Ils sont inhumés habillés et/ou dans des linceuls, déposés dans des cercueils en bois fréquemment cloués. Les enfants en bas âge y sont très peu nombreux. Quelques individus portent des bijoux (boucles d’oreilles, boutons de manchette, bagues…), signe d’un rang social élevé. Deux d’entre eux étaient ainsi accompagnés de peignes de coiffe en écaille de tortue des Caraïbes. Une aristocrate anglaise de passage y fut enterrée dans un cercueil en plomb, une pratique fréquente à cette période pour les nobles catholiques mais également anglicans. Ces données confirment nos connaissances sur cette communauté au XVIIIe siècle, connue notamment grâce aux travaux de l’historien Yves Krumenacker. L’alignement des individus révèle un espace sépulcral organisé classiquement avec des allées de circulation. Le recoupement et le décalage des rangées et l’investissement des cheminements par des inhumations perpendiculaires indiquent toutefois un espace vite devenu exigu. Ce n’est pas une surprise, la communauté protestante se plaignant régulièrement d’un lieu trop étroit pour ses besoins, ce qui occasionna son extension sur un jardin contigu après 1764. Les squelettes ne montrent par ailleurs aucune trace de violence.
Des positionnements étonnants
L’orientation des individus est-ouest, tête à l’est, majoritaire à plus de 50 % (151 sur 294 individus identifiés) et tendant à devenir quasi exclusive au cours du XVIIIe siècle, correspond au sens inverse de l’usage chrétien traditionnel, avec la tête à l’ouest. Près de 20 individus semblent avoir été tassés contre les parois de leurs cercueils, comme s’ils avaient été chahutés lors de la mise en terre. Plus surprenant, 17 individus ont été découverts sur le ventre, dont 3 (voire 4) dans des cercueils renversés et déposés sur le couvercle. L’inversion de ces inhumations est accentuée par le fait que 8 sur 10 sont orientés tête à l’ouest, les 7 autres étant axés nord-sud. Plusieurs de ces individus donnent par ailleurs l’impression d’avoir été davantage relégués sans ménagement dans une fosse que véritablement enterrés avec respect. C’est également le cas de quelques individus placés sur le dos, y compris tardivement au XVIIIe siècle. Enfin, quatre sépultures multiples sont recensées, alors que les registres conservés ne signalent aucune pratique simultanée. C’est notamment le cas, troublant, de deux corps d’adultes (un homme et une femme) déposés tête-bêche sur le ventre sans linceuls ni cercueils ou d’un autre cercueil contenant un homme adulte et un enfant d’un an, enveloppés dans des linceuls.
Stéphane Ardouin
Service archéologique de la Ville de Lyon, chercheur associé à l’UMR 5138 ArAr
À retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 630 (avril 2024)
Pompéi renaît de ses cendres
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