![Le plateau de Gergovie, avec en son centre le musée archéologique de la bataille et tout à droite le monument commémoratif de 1900. © H. Derus](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/Demoule-visuel.jpeg)
Le 28 mars 2024, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française, rendait un arrêt qui pouvait paraître surprenant. Il confirmait, en effet, que Gergovie était bien à Gergovie ! Décision inusuelle, car en général les tribunaux ne prennent pas partie dans les débats scientifiques. Près d’un siècle en arrière, pendant la célèbre affaire de Glozel, où un jeune paysan bourbonnais, Émile Fradin, était accusé d’avoir créé de toutes pièces une étonnante civilisation préhistorique associant harpons en os rappelant le Magdalénien et écriture rappelant le phénicien, les tribunaux saisis avaient déclaré que qualifier Émile Fradin de faussaire était diffamatoire, mais qu’il ne leur appartenait pas de se prononcer quant à l’authenticité du site.
Le Conseil d’État, en l’occurrence, avait à juger de la légalité d’un décret du 30 août 2022 qui classait, au titre de la bataille de Gergovie, les oppida arvernes de Corent, Gergovie et Gondole ainsi que les camps de César afférents, l’ensemble déployé sur une quinzaine de communes du Puy-de-Dôme.
La bataille de Gergovie
L’identification de Gergovie remonte au moins à la Renaissance grâce au savant florentin Gabriele Simeoni, identification d’autant plus facile qu’il existait sur le plateau de Merdogne, au sud de Clermont-Ferrand, un domaine monastique toujours appelé Gergovia. Il s’ensuivra dès lors cinq siècles de controverses où l’on trouve par exemple, au XVIIIe siècle et d’opinions divergentes, deux importantes figures de l’histoire de l’archéologie française, Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy d’une part, et le comte de Caylus de l’autre. Au point que certains en vinrent à se menacer d’un duel et que l’Académie de Clermont interdit qu’on parle de Gergovie lors de ses séances. Mais en 1858 Napoléon III, dans le cadre de son ouvrage sur la vie de Jules César, crée la Commission topographique des Gaules, chargée d’identifier des sites antiques et d’y mener des fouilles. L’empereur, parfois en désaccord avec la Commission qui avait le tort de ne pas toujours valider ses propres hypothèses historiques, confie donc certaines fouilles importantes, dont Gergovie et Alésia, à un officier polytechnicien, Eugène Stoffel – qui rédigera d’ailleurs lui-même le troisième tome de la vie de César après la mort en exil du souverain déchu.
Féroces polémiques
Dans les années 1930, un peintre local et directeur-adjoint du musée de Clermont-Ferrand, Maurice Busset, prétendit que sur un sommet voisin, appelé les Côtes-de-Clermont, des vestiges de murets de pierres sèches attestaient du vrai Gergovie. Il fut étrangement suivi par diverses sommités scientifiques d’alors, dont plusieurs membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, parmi lesquels le doyen Auguste Audollent, qui s’était déjà déclaré en faveur de l’authenticité de Glozel et tint à annoncer lui-même à l’Académie le 10 février 1933 la nouvelle identification. De féroces polémiques s’ensuivirent, avant que le flambeau des Côtes-de-Clermont ne soit repris à partir des années 1950 par un nouvel érudit, Paul Eychart. Lequel mena des fouilles pendant de longues années aux Côtes-de-Clermont, multipliant conférences et articles de presse, vigoureusement soutenu en particulier par L’Auvergnat de Paris. Des polémiques sans fin en découlèrent, allant parfois jusqu’aux tribunaux, et des associations se constituèrent. Le ministère de la Culture envoya de temps à autre des commissions, qui s’en tinrent dans un premier temps à de prudentes réserves.
Jean-Paul Demoule
Ancien président-fondateur de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap)
Professeur émérite à l’université de Paris I et à l’Institut universitaire de France
Twitter : @JPDemoule
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