![© Éric Le Brun](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/Rennes.jpg)
Un mur de pierres long de près d’un kilomètre et d’un mètre de haut repose au fond de la mer Baltique, à 21 mètres de profondeur. Daté d’au moins 10 000 ans, il servait peut-être à l’affût lors de la chasse paléolithique.
Nous savions déjà que les Préhistoriques étaient capables d’édifier des structures en hauteur. Sans parler de Néandertal et des ovales en spéléothèmes qu’il nous a laissés dans la grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne), Homo sapiens a pu condamner des galeries en accumulant des pierres (grotte de Tito Bustillo, en Espagne) ou délimiter des espaces d’activités, comme sur le site en plein air de Peyre Blanque (Ariège), connu pour son vaste aménagement en pierre ; de 10 mètres de long pour un maximum de 5 mètres de large, il est composé de roches de diverses provenances.
Un gros serpent piégeur
Mais la structure immergée de la baie de Mecklenbourg, surnommée le Blinkerwall, dépasse l’imagination. Découverte grâce à des techniques d’hydroacoustique (un sonar multifaisceaux), elle est composée de 1 673 pierres empilées. La plupart font moins de 100 kg, mais 288 d’entre elles sont plus lourdes, la plus grosse, dans la partie centrale, pesant 11 tonnes ; celle-ci marque d’ailleurs un changement de direction du mur, orienté est-ouest à l’ouest et sud-ouest-nord-est plus à l’est. Les deuxième, troisième et quatrième plus grosses pierres, pesant 2, 2,5 et 5,7 tonnes, sont situées à l’extrémité ouest du mur, la dernière marquant la fin du mur. Dans l’ensemble, les dix pierres les plus lourdes sont toutes localisées dans des régions où le mur de pierre vire de direction, donnant à la structure l’aspect d’un gros serpent sinueux.
L’œuvre de chasseurs-cueilleurs
Ces modifications d’orientation et l’absence de graviers associés excluent que les pierres aient été apportées là par un tsunami ou un glacier, ou bien à la suite de la construction d’un pipeline. Cette structure fut submergée une dernière fois lors de la transgression de Littorina, entre 9000 et 8000 ans avant notre ère. Elle n’a donc pas été édifiée par des agro-pasteurs néolithiques mais bien par des chasseurs-cueilleurs. Ceux-ci ont ainsi apporté, par petits groupes, environ 1 385 pierres (du sommet de la pente à 10 mètres de là), qu’ils ont ensuite positionnées entre les 288 grosses pierres intransportables, afin de les relier pour édifier un mur continu, dont la sinuosité est la conséquence de la position préalable des grosses masses rocheuses préexistantes.
Assemblage « religieux » ou pratique ?
À quoi pouvait donc bien servir cette ligne de pierres ? Comme d’habitude, deux explications s’affrontent : celle qui y verrait un assemblage symbolique « religieux », et celle qui propose une utilisation plus pratique. Des structures similaires plus récentes connues au Groenland ou en Amérique du Nord suggèrent qu’il s’agirait plutôt d’une structure à vocation cynégétique, destinée à la chasse aux rennes, en manipulant la direction du mouvement des troupeaux pour la chasse à l’affût. Il a fallu une certaine organisation pour édifier le Blinkerwall, pas forcément une société pyramidale, mais un collectif soudé et créatif. Des pierres de plus dans le jardin de ceux qui persistent à voir les chasseurs-cueilleurs comme des groupes misérables, survivant dans une nature hostile dont ils ne faisaient que subir les assauts.
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
GEERSEN J. et al., 2024, « A submerged Stone Age hunting architecture from the Western Baltic Sea », PNAS, 121 (8), e2312008121. Doi : 10.1073/pnas.2312008121
LACOMBE S. et al., 2015, « Le site de plein air de Peyre Blanque (Fabas, Ariège) : un jalon original du Magdalénien dans le Sud-Ouest de la France », Bulletin de la Société préhistorique française, 112 (2), p. 235-268.