
Sans équivalent dans l’Orient ancien, la civilisation du fleuve Indus, tardivement reconnue, rayonna entre 2500 et 1900 avant notre ère à la frontière de deux mondes, le Moyen-Orient et le sous-continent indien. Sa métropole Mohenjo-daro fête en 2022 le centenaire de sa découverte : située dans la province du Sindh au Pakistan, inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1980, elle abrite les vestiges de l’une des plus grandes villes planifiées connues de l’âge du Bronze. L’histoire de cette « cité oubliée », au regard des dernières recherches archéologiques, met en lumière le premier grand phénomène d’urbanisation en Asie du Sud et l’originalité de la civilisation de l’Indus.
Les débuts de l’Inde ancienne ont longtemps résisté à la recherche scientifique. La civilisation de l’Indus est restée oubliée jusqu’à la fouille du site de Harappa, dans la région du Penjab, au début des années 1920, et la découverte inattendue des vestiges de Mohenjo-daro révélant une grande société urbaine antérieure à l’époque des textes védiques, les anciens textes sacrés de l’hindouisme censés avoir été composés oralement au IIe millénaire avant notre ère.
Mohenjo-daro, « métropole » de l’Indus
Les premiers témoignages de cette civilisation méconnue nous parviennent dès le XIXe siècle, durant la période du « Grand Jeu » marquant la rivalité coloniale entre l’Empire britannique et la Russie. Les ruines de Harappa attirent très tôt la curiosité d’explorateurs, de marchands et d’officiers militaires britanniques. Plusieurs sceaux« indiens » portant les traces d’une écriture ancienne jusque-là inconnue sont ainsi publiés en 1875, mais ces découvertes passent presque inaperçues. Harappa n’est réellement fouillé que cinquante ans plus tard, sous l’impulsion de Sir John Marshall, pionnier et véritable artisan des recherches sur la civilisation de l’Indus. En 1922, il missionne l’archéologue Rakhal Das Banerji sur le site prometteur de Mohenjo-daro (ou « colline des morts » en langue sindhi), récemment révélé dans la basse vallée de l’Indus. Dès la première saison, ce dernier met au jour, de façon tout à fait inattendue, des vestiges massifs similaires à ceux de Harappa sous les ruines d’un monastère bouddhique. Le parallèle entre les deux sites est rapidement dressé et Marshall annonce publiquement la découverte d’une nouvelle civilisation antique en 1924. Des comparaisons avec des sceaux retrouvés à Suse en Iran ainsi qu’en Mésopotamie permettent de la dater du IIIe millénaire avant notre ère.

Un siècle de fouilles et d’études
Dès 1922, les dégagements effectués à Mohenjo-daro sont titanesques, réunissant jusqu’à 1 200 ouvriers supervisés par les archéologues de l’Archaeological Survey of India (ASI). D’impressionnantes architectures en brique cuite sont mises au jour dans les différents secteurs excavés et les premiers jalons de la connaissance sur la civilisation de l’Indus sont posés. Les fouilles sont ensuite reprises jusqu’en 1931 par Ernest Mackay qui conduira plus tard, en 1935-1936, de grands dégagements à Chanhu-daro, l’un des centres artisanaux majeurs de la vallée de l’Indus. Au total, ce sont près de 100 000 m2 du site (1/10e de sa surface totale) qui sont excavés, et plusieurs dizaines de milliers d’objets collectés. Après la partition entre l’Inde et le Pakistan en 1947, Mohenjo-daro fait l’objet de nouvelles fouilles conduites par Sir Mortimer Wheeler puis par l’équipe américaine de George F. Dales avec pour objectif d’atteindre les niveaux plus anciens encore inexplorés. Cette entreprise est toutefois limitée par la présence de la nappe phréatique qui met fin aux espoirs de documenter la fondation de la ville. Recouvert par d’épaisses couches de sédiments alluvionnaires, Mohenjo-daro n’a été fouillé que dans sa partie émergée correspondant aux derniers siècles d’occupation de la civilisation de l’Indus. Ses niveaux profonds restent, à ce jour, inconnus des archéologues.

Aurore Didier et Alexandre Houdas

Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 614 (novembre 2022)
La civilisation de l’Indus. Les 100 ans de Mohenjo-daro
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com