À la faveur d’un projet de réaménagement de la Loire visant à rendre son cours plus naturel et plus favorable à la biodiversité, ont été découverts, entre Angers et Nantes, deux sites archéologiques exceptionnels, l’un de pêcheries médiévales, l’autre d’épaves datant des XVIIe-XVIIIe siècles. Tous deux attestent de l’intense activité humaine qui avait cours sur cet axe fluvial.
Fouiller sur les bords de la Loire n’est pas des plus simples. Il faut attendre non seulement que le cours d’eau atteigne son niveau le plus bas (l’étiage), mais aussi la fin de la période de nidification des sternes qui dure jusqu’à la mi-août. La fenêtre temporelle est donc extrêmement courte car à la fin octobre, au plus tard, l’eau est inéluctablement remontée. Il aura donc fallu trois sessions, de 2019 à 2021, pour réaliser les treize diagnostics prescrits sur une superficie de 250 hectares de grèves. Du fait des volumes colossaux de sable à déplacer et de la contrainte de temps, les techniques classiques de tranchées régulières réalisées à la pelleteuse ont rapidement été remplacées par une prospection géophysique, à l’aide d’un géoradar permettant de détecter les anomalies dans le sol et de cibler les zones à creuser.
Trois îles, trois fouilles
À l’issue des diagnostics, trois fouilles ont finalement été lancées au mois d’août 2022 par l’Inrap, sur trois îles des environs d’Ancenis : l’île aux Moines, l’île Poulas et l’île Coton. Si la première a révélé de simples renforts de berges composés de pierres et de pieux, la deuxième a permis la mise au jour de trois sites de pêcheries remontant, d’après les premiers éléments de datation, au XIIe siècle : à ce moment-là, l’Église impose 150 jours maigres par an et la pêche joue alors un rôle essentiel. Quelque 500 pieux ont été dégagés : ils témoignent d’un système fait de clayonnages tressés – dont les pieux constituent l’armature –, disposés en V pour diriger l’eau vers des nasses en osier. Placés en quinconce, ces filets viennent piéger les poissons aussi bien de montaison (les saumons) que d’avalaison (les anguilles). À proximité ont été aussi retrouvés des môles pierreux attestant la présence des moulins-bateaux qui s’y amarraient pour y réaliser, à la force de l’eau, des travaux de meunerie.
Dix bateaux de charge
Le troisième site a réservé encore d’autres découvertes : au lieu des trois épaves initialement suspectées, pas moins de dix bateaux ont été dévoilés à ce jour. Remplis de pierres et couchés sur le flanc le long de trois enrochements en schiste, ces navires de charge, d’une longueur moyenne de 14 mètres, ont été délibérément coulés à la pointe de l’île Coton dans un but qui reste encore à déterminer : s’agissait-il de protéger l’île de l’érosion ? De créer un abri ? De détourner le cours de l’eau ? L’analyse des bois utilisés, grâce notamment à la dendrochronologie et à la xylologie, ainsi que l’étude des traces de scies et des marques de charpentier repérées par les archéologues spécialistes d’architecture navale et de fouilles subaquatiques et sous-marines permettront d’en savoir un peu plus sur l’utilisation de la Loire et les bateaux eux-mêmes. Le système d’étanchéité, fait de mousse végétale, est encore visible et les bois, gorgés d’eau, ont été exceptionnellement bien conservés. Cette humidité doit d’ailleurs absolument être préservée pour éviter que le bois ne craque et que de précieux renseignements ne soient définitivement perdus. Mais ici l’eau n’est pas loin : sur ce chantier situé en dessous du niveau de la Loire, elle ne cesse d’affleurer et les motopompes doivent tourner en permanence pour permettre la poursuite des dégagements.
Alice Tillier-Chevallier