En Bourgogne, le musée de préhistoire de Solutré a choisi d’explorer les liens entre le Paléolithique et la bande dessinée. Trois questions à Pierre-Guillaume Denis, responsable du musée de Préhistoire de Solutré, pour mieux comprendre les enjeux de cette exposition.
Propos recueillis par Romain Pigeaud
Pourquoi la Préhistoire a-t-elle autant inspiré les auteurs de bandes dessinées ?
La Préhistoire est un autre monde, un ailleurs dans le temps, et presque aussi dans l’espace, tant son environnement fut différent du nôtre. C’est un point d’origine, qui voit l’apparition de l’humanité. En tant que discipline scientifique, elle a produit un nouveau récit des origines de l’Homme. Après les romanciers du XIXe siècle, les auteurs de bandes dessinées s’en sont saisis comme d’un nouveau cadre pour leurs récits d’aventure. Récits des origines forcément, récits des premières fois, des inventions techniques, voire d’innovations sociales, récits aux origines du monde où l’Homme se distingue de la nature sauvage, incarnée par de gros animaux disparus (voire des dinosaures anachroniques), récits de découvertes également dans un monde encore inexploré, récits de rencontres, entre Sapiens et Néandertal, par exemple… La Préhistoire forme un cadre, à la fois réel (cela a existé) mais aussi fictionnel, riche en péripéties et en interactions. Et l’humain restant le trait d’union avec notre époque, le lecteur peut s’identifier aux personnages et voyager dans cet autre monde.
En quoi l’imagination des dessinateurs et scénaristes peut-elle aider les préhistoriens ?
Les archéologues n’envisagent la Préhistoire qu’à travers de rares vestiges qui nous sont parvenus : ossements, outils de pierre taillés, objets décorés, rares structures d’habitat… Ils s’en tiennent aux conclusions et interprétations parcimonieuses que les vestiges matériels permettent d’avancer. Les auteurs de bande dessinée peuvent laisser aller leur imaginaire et évoquer la complexité des groupes humains qui ont produit ces objets : leur organisation sociale, leurs croyances, leurs récits mythologiques, leurs interactions… La fiction a les coudées plus franches. En éclairant l’imaginaire des chercheurs, elle peut induire de nouvelles hypothèses, renouveler l’interprétation des faits, enrichir la représentation et, pourquoi pas, proposer de nouvelles hypothèses que des faits matériels confirmeront peut-être un jour…
Pourquoi, à l’occasion de l’exposition, avoir choisi de rééditer le roman (dépassé) Solutré ou les chasseurs de rennes de la France centrale d’Adrien Arcelin, publié en 1872 sous le pseudonyme d’Adrien Cranile ?
Le Département de Saône-et-Loire, gestionnaire du musée de Préhistoire de Solutré, avait à cœur de célébrer le 150e anniversaire de ce roman par l’inventeur et premier fouilleur du gisement préhistorique du Crot du Charnier. Au même titre que les collections patrimoniales du musée, ce tout premier roman préhistorique a une valeur historique. Il témoigne du cadre conceptuel dans lequel la discipline était alors en gestation. Solutré est un témoin de cette histoire et des premières représentations de « l’Homme fossile », comme on le concevait alors. Accompagnant le texte, des gravures d’Émile Bayard présentaient les premières reconstitutions scientifiques d’hommes préhistoriques, d’après des croquis d’Adrien Arcelin. De même que nous avons commenté le texte d’Arcelin pour le recontextualiser, il nous a paru important de faire dialoguer ces gravures anciennes avec des dessins originaux d’Éric Le Brun (contributeur régulier à Archéologia), qui présentent une vision actualisée des chasseurs de Solutré. Le roman est aussi à l’origine d’un genre qui a connu son heure de gloire avec La Guerre du feu de J. H. Rosny (1909) et plus récemment avec la saga des Enfants de la Terre de J. Auel (1980-2011). Enfin, il est à l’origine de la fameuse légende de Solutré, la « chasse à l’abîme » qui veut que des chevaux aient été précipités par les Préhistoriques depuis la Roche. Cette légende est parfaitement démentie par l’archéologie, mais elle fait désormais partie du patrimoine du site et participe à son statut de Grand Site de France.
« Paléo-bulles, la Préhistoire en BD »
Jusqu’au 18 février 2023 au musée de Préhistoire de Solutré
71960 Solutré-Pouilly
Tél. 03 85 35 82 81
https://rochedesolutre.com/paleobulles
À lire : Adrien Cranile, 2022, Solutré ou les chasseurs de rennes de la France centrale. Réédition commentée, avec de nouvelles illustrations d’Éric Le Brun, Mirebeau-sur-Bèze, éditions Tautem, 154 p.
À commander sur : www.librairie-archeologique.com