Le 8 décembre dernier, Emmanuel Macron confirmait la création d’un « musée à la fois d’histoire et d’art, un musée qui va aussi décrire le chantier permanent de Notre-Dame ». Si des années seront nécessaires à la constitution des collections et à la mise en place d’un parcours permanent, il est d’ores et déjà possible d’en esquisser les grandes orientations.
Depuis un siècle, prenant pour prétexte une date anniversaire, la fin d’un chantier de fouilles ou une restauration d’envergure, de nombreuses expositions ont mis en exergue la construction, l’histoire et l’exceptionnel patrimoine des principales cathédrales de France, d’Amiens (1920) à Metz (2019) en passant par Bourges (1924), Le Mans (1954), Rouen (1963), Sens (1966), Chartres (1997) ou Saint-Denis (2004). Ces manifestations rassemblent assez invariablement des documents, plans, estampes et manuscrits prêtés par les diocèses et les archives publiques, des vestiges archéologiques provenant de fouilles, des sculptures, peintures, pièces d’orfèvrerie et tapisseries issues de l’édifice, de musées ou de collections privées.
Des trésors dispersés
Les expositions consacrées à Notre-Dame en 1947 ou 1963 ne dérogent pas à la règle et fédèrent autour du chapitre, la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales, les musées Carnavalet, du Louvre et de Cluny, la Société des Amis, le Mobilier national, de grands musées de province et des collectionneurs. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut également mentionner les collections de l’Institut national d’histoire de l’art, de l’École nationale supérieure des beaux-arts ou de la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (qui abrite notamment l’exceptionnel fonds Viollet-le-Duc). Mais dans quelle mesure ces trésors pourraient-il quitter plus ou moins provisoirement les musées qui les abritent ? On imagine mal le musée des Beaux-Arts de Caen se dessaisir du Vœu de Louis XIII par Philippe de Champaigne, la cathédrale de Strasbourg céder la tenture de La Vie de la Vierge acquise auprès du chapitre parisien en 1739, et le musée de Cluny vider la salle dédiée aux sculptures de Notre-Dame. D’aucuns rappellent toutefois que les œuvres dispersées ne sont pas toujours exposées aujourd’hui ; c’est le cas de treize Mays roulés dans les réserves du Louvre et du musée d’Arras.
Ce qui provient de la cathédrale
Le millier d’objets sorti de la cathédrale et inventorié sera bien sûr de retour à Notre-Dame pour sa réouverture, tandis que le trésor retrouvera l’écrin de la sacristie dessiné tout exprès pour lui. Il en va de même pour les vingt-cinq tableaux provenant de la cathédrale, parmi lesquels treize grands Mays (sur les cinquante-deux connus à ce jour). Pour la plupart restaurées, ces toiles seront dévoilées en avant-première au Mobilier national dès le mois d’avril, dans le cadre de l’exposition « Grands décors de Notre-Dame ». Le futur musée accueillera en revanche le dépôt lapidaire et une partie des vestiges de la cathédrale, à l’instar de l’ancien coq de la flèche, des quatre chimères de la tour sud, très abîmées et remplacées par des copies, ou encore des vitraux de Viollet-le-Duc susceptibles d’être déposés. Les beaux fragments polychromes du jubé du XIIIe siècle, découverts durant les (très) courtes fouilles préventives de l’Inrap sous le dallage de la croisée du transept, y auront également toute leur place. La question des vestiges à conserver sera à l’évidence un sujet brûlant. Philipe Jost précisait récemment : « une réflexion complémentaire va s’effectuer, en parallèle des travaux de restauration post-réouverture, sur un lieu de stockage durable des vestiges d’intérêt de la cathédrale, qui ne sera pas l’Hôtel-Dieu, car les mètres carrés sont précieux et rares sur l’île de la Cité1 ».
« Un musée d’histoire et d’art »
Des prémices de la construction médiévale au chantier actuel, en passant par les modifications et restaurations diverses, le futur musée retracera la tumultueuse histoire de l’édifice et accordera certainement une place de premier plan au contexte politique, social et artistique. Lieu de culte autant que lieu de vie, Notre-Dame a traversé les siècles en accueillant des événements mémorables (le comte de Toulouse, Raymond VII, venant implorer l’absolution en 1229) et des célébrations innombrables (baptêmes et mariages princiers, Te Deum, manifestations révolutionnaires, sacre de Napoléon…) Des temps forts dont les archives et les œuvres conservent la mémoire. Les artistes ont inlassablement immortalisé ces événements et fait de l’édifice le sujet principal ou un motif secondaire de leurs œuvres. La cathédrale inspire aussi bien Jean Fouquet et Charles Marville que Gérard de Nerval et Albert Marquet, sans oublier Victor Hugo, bien sûr, qui suscite un mouvement de défense populaire sans précédent, avant d’inspirer à son tour graveurs et cinéastes.
Célébrer les métiers d’art
Une dimension nouvelle est régulièrement soulignée depuis l’incendie mais encore jamais mise en avant dans les musées de cathédrales existants : « la pratique virtuose de multiples métiers d’art, dont [témoigne] le chantier en cours » (communiqué du ministère de la Culture, 7 juillet 2023). Déjà remarquablement mis à l’honneur dans la Maison du chantier et sur les palissades, les architectes, charpentiers, couvreurs, maçons, verriers, facteurs d’orgues et restaurateurs auront donc une place de choix au sein du futur parcours. Quant aux scientifiques et chercheurs qui les ont accompagnés depuis le début du chantier, ils bénéficieront très probablement d’un espace de travail dont l’ampleur reste à définir.
1 Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, 16 décembre 2023, accessible en ligne.
Myriam Escard-Bugat
Retrouvez les épisodes précédents de notre série « La renaissance de Notre-Dame de Paris » :
Épisode I : une année riche en événements
Épisode II : cinq ans de polémiques
Épisode III : vers un « musée de l’Œuvre » ?
Dossier à retrouver dans :
L’Objet d’Art n° 608
Notre-Dame, vers un musée de l’Œuvre ?
98 p., 11 €.
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Retrouvez toutes les informations sur : www.rebatirnotredamedeparis.fr