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L’Aurige sous toutes les coutures

Détail de l’œil gauche de l’Aurige. © Ministère grec de la Culture et des Sports / C2RMF, P. Salinson / EFA, E. Miari
Détail de l’œil gauche de l’Aurige. © Ministère grec de la Culture et des Sports / C2RMF, P. Salinson / EFA, E. Miari

Depuis plus de cinq ans, l’iconique, mais mal connu, Aurige de Delphes fait l’objet d’une campagne d’examens menée par une trentaine de chercheurs. Jamais jusqu’alors autant de moyens n’avaient été déployés pour étudier une statue antique. Grande première, grands défis et résultats à la hauteur des attentes comme nous le détaillent Sophie Descamps, conservatrice générale honoraire du patrimoine au musée du Louvre, et Benoît Mille, ingénieur de recherche, archéométallurgiste au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), porteurs de ce projet inédit.

Propos recueillis par Éléonore Fournié.

Pourriez-vous nous présenter ce chef-d’œuvre de la sculpture grecque ?

Il s’agit d’un groupe statuaire composé d’un cocher debout sur un char tiré par quatre chevaux. L’Aurige ainsi que les fragments du char et des chevaux ont été retrouvés en avril et mai 1896 sur le site archéologique de Delphes par l’École française d’Athènes (EFA). L’inscription sur l’un des blocs de la base en calcaire, retrouvé avec l’Aurige, a permis d’identifier le commanditaire et de préciser la date de réalisation ; en effet, si la première ligne a, dès l’Antiquité, été effacée, on peut lire le nom du sicilien Polyzalos, frère des tyrans successifs de Syracuse, Gélon puis Hiéron. L’Aurige peut être mis en relation avec Hiéron, vainqueur à plusieurs reprises, à Delphes et à Olympie, de la course au cheval monté et de la course de char. Le quadrige de Hiéron a ainsi remporté la victoire aux concours pythiques en 470 avant notre ère. Par ailleurs, sous l’inscription, nous pouvons lire « seigneur de Géla ». Or en 466 avant notre ère, la tyrannie s’interrompt en Sicile. Cela permet, selon toute vraisemblance, de dater l’œuvre entre 470 et 466 avant notre ère. En plus de toutes ses qualités plastiques, l’Aurige constitue donc, grâce à sa datation, un jalon essentiel pour l’ensemble de la sculpture antique. Nous savons aussi grâce à des recherches récentes où il se trouvait dans le sanctuaire, dans un endroit extrêmement privilégié, au-dessus du temple d’Apollon, et à proximité d’autres offrandes des tyrans de Sicile. L’œuvre disparaît ensuite lors d’un grand séisme, qui a peut-être eu lieu au IVe siècle avant notre ère.

L’Aurige de Delphes. Conservé au musée archéologique de Delphes et exposé dans une salle qui lui est dédiée, l’Aurige mesure 1,80 m et a été réalisé au Ve siècle avant notre ère. © Ministère grec de la Culture et des Sports / C2RMF, P. Salinson / EFA, E. Miari
L’Aurige de Delphes. Conservé au musée archéologique de Delphes et exposé dans une salle qui lui est dédiée, l’Aurige mesure 1,80 m et a été réalisé au Ve siècle avant notre ère. © Ministère grec de la Culture et des Sports / C2RMF, P. Salinson / EFA, E. Miari

Quand a commencé ce programme de recherche ?

Le 14 novembre 2016 a été signée une convention de partenariat scientifique entre trois institutions : l’École française d’Athènes, l’Éphorie des Antiquités de Phocide et le musée du Louvre afin d’étudier l’ensemble de la statuaire grecque à Delphes, au sein de laquelle se trouve l’Aurige. Le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre et le C2RMF ont ainsi rejoint le projet car, depuis une quinzaine d’années, nous travaillions tous les deux sur la technique des grands bronzes antiques. Nous avons réalisé plusieurs missions à Delphes : lors de la première en 2017, qui a permis de voir que l’œuvre se portait bien, nous avons utilisé un appareil de fluorescence X portable afin de dresser un premier panorama de la statue et des différents fragments préservés du groupe. Le but de cette mission était d’écrire un rapport présentant le projet de recherche à mener (radiographie, analyses non-destructives et micro-prélèvements), envoyé à l’automne 2017. Trois questions importantes ont émergé : la technique de fonte et d’assemblage de l’œuvre, sa polychromie et la provenance des matériaux. Près de deux années ont été nécessaires pour obtenir les autorisations des instances grecques et la mise en place de collaborations avec des partenaires importants comme l’Institut de soudure, société capable d’élaborer un protocole de radiographie gamma sur site ; l’Aurige n’étant pas déplaçable, il fallait en effet envisager l’utilisation d’une source radioactive d’iridium 192. Une collaboration de très grande ampleur et vraiment inédite est alors née, dans laquelle le musée de Delphes s’est pleinement investi.

Proposition de restitution 3D de la tête de l’Aurige de Delphes d’après l’ensemble des résultats de l’étude. © Archeovision (UMR 6034 Archéosciences Bordeaux) / Ministère grec de la Culture et des Sports
Proposition de restitution 3D de la tête de l’Aurige de Delphes d’après l’ensemble des résultats de l’étude. © Archeovision (UMR 6034 Archéosciences Bordeaux) / Ministère grec de la Culture et des Sports

Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 617 (février 2023)
Mammouths, dernières découvertes
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com

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