Docteur Silex ! Tel était le surnom donné, par ses patients, à Guillaume-Joseph Bailleau (1830-1909), ce médecin de campagne, qui passait son temps à collecter des « vieux cailloux » dans le sol du Bourbonnais. Grand bien lui prit, car sa démarche est à l’origine de la découverte d’un « âge » du Paléolithique supérieur, le Châtelperronien (45 000-12 000 avant notre ère), du nom du lieu où il fit ses recherches. La nouvelle exposition du musée Anne-de-Beaujeu (MAB) met en lumière la carrière, les recherches et la personnalité bien trempée de cet homme, aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli.
Médecin, mais aussi scientifique méthodique et fervent chrétien, Bailleau est un homme de son temps ; depuis son Bourbonnais natal, il s’intéresse passionnément à cette Préhistoire naissante, d’avant le Déluge, que le XIXe siècle est en train de découvrir. C’est ainsi qu’il présente en 1867 à l’Exposition universelle une soixantaine de très belles pièces, soulignant par la même occasion que cette vaste période ne se cantonne pas à la Picardie et au Périgord ; comme ses contemporains, il ne se crispe pas sur la chronologie (ce sera l’obsession de la génération suivante) mais s’intéresse bien davantage à la manière dont vivaient ces fameux « hommes préhistoriques », à leur quotidien et à leur environnement (la mise au jour d’une longue défense de mammouth ou de dents de grands carnivores lui dévoile des pans entiers de ce paysage glaciaire d’antan). Au fil du parcours, on aura aussi plaisir à consulter son journal (joliment titré Bric-à-brac, pérégrinations archéologiques), très riche en informations (Bailleau ayant assez peu publié, son journal est une petite merveille) et sa truculente correspondance avec les grands savants de son temps (Gabriel de Mortillet, Édouard Lartet ou Joseph Déchelette).
L’événement d’une vie
L’exposition n’est pas seulement née d’une volonté de ses descendants de mettre en lumière la carrière de leur glorieux aïeul ; elle a aussi été permise grâce à une généreuse donation faite par l’évêché, qui possédait depuis le début du XXe siècle un important fonds de 2 000 objets de la collection du docteur (don qui fait désormais du MAB le deuxième plus grand récipiendaire d’une collection du Châtelperronien en France) ; de plus, depuis 2019 des recherches conduites par le service régional d’archéologie ont repris sur le site qui mérite véritablement des investigations approfondies. Car finalement, même si cela ne concerne que quelques années de sa vie, la grande histoire de Bailleau demeure ces fouilles menées dans la grotte des fées à Châtelperron entre 1867 et 1870, où sont mis au jour des petits outils en silex, extrêmement minutieux (ce sont des lames très fines avec un côté fort tranchant), qui demandent une grande conceptualisation mentale – tant est si bien que l’on se questionne toujours sur l’inventeur de cette industrie complexe : Néandertal ou Sapiens, le débat est loin d’être clos. Bailleau s’est intéressé à toutes les périodes (les dépôts de l’âge du Bronze, les ateliers de céramiques gallo-romains de l’Allier) qui font la richesse de cette région. Lui qui savait aussi très bien promouvoir sa collection et pratiquait, avec beaucoup d’habileté, les échanges avec les scientifiques européens, finit par transformer sa maison en un véritable musée. Il était temps qu’un musée lui rende la pareille.
Éléonore Fournié
« La fabuleuse aventure archéologique du docteur Bailleau »
Jusqu’au 17 septembre 2023 au musée Anne-de-Beaujeu
Place du Colonel Laussedat, 03000 Moulins
Tél. 04 70 20 48 47
https://musees.allier.fr
Catalogue, Dijon, éditions Faton, 80 p., 15 €.