
Niché entre les deux plus hautes chaînes de montagnes d’Asie, l’Himalaya au sud et le Karakoram au nord, le Ladakh est un vaste désert d’altitude qui occupe aujourd’hui, au nord-ouest de l’Inde, une position stratégique entre le Pakistan et la Chine. Depuis 10 ans, les recherches s’y sont intensifiées et démontrent que cette région, organisée le long du cours supérieur du fleuve Indus, était déjà aux hautes époques à la croisée des mondes centrasiatique, indien et tibétain.
Les sources textuelles existantes au Ladakh sont rares et rédigées tardivement. Ainsi la seule chronique disponible a été compilée entre les XVIe et XVIIe siècles et récite quelques fragments de l’histoire politique qui se sont échelonnés entre le Xe et le XVIIe siècle.
L’archéologie du Ladakh
Le défaut de texte fait donc de l’archéologie une discipline essentielle pour comprendre les dynamiques de peuplement au cours du temps mais, jusqu’à très récemment, cette dernière était limitée. À la fin du XIXe siècle, des explorateurs, agents du gouvernement britannique ou missionnaires, manifestent, les premiers, leur intérêt pour ce patrimoine. Le véritable pionnier de cette archéologie locale demeure le missionnaire morave, August Hermann Francke (1870-1930). Il renseigne divers vestiges, tels que les pétroglyphes (dessins gravés dans la pierre), les inscriptions rupestres, les fortifications, les sépultures, et livre une centaine de publications réunissant une documentation inédite de plusieurs sites, dont certains aujourd’hui disparus.
Des milliers de pétroglyphes documentés
Ce n’est que dans les années 1980 que les archéologues de l’Archaeological Survey of India (ASI) reprennent ce travail, notamment sur les pétroglyphes et les outils lithiques. Au cours des vingt dernières années, la recherche a grandement progressé avec la documentation de milliers de pétroglyphes et de centaines d’inscriptions rupestres inédits, l’étude approfondie des fortifications et des céramiques, ou encore les nouvelles découvertes de foyers néolithiques. Depuis 2013, la mission archéologique franco-indienne au Ladakh (MAFIL) a permis de détailler l’occupation de la vallée de la Nubra et de fouiller Leh Choskor, un site lié au renouveau du bouddhisme tibétain (Xe-XIe siècles).
Des fouilles difficiles
Le manque de recherches archéologiques dans la région pendant plusieurs décennies est aussi lié à un certain nombre d’événements, notamment la fermeture du Ladakh après l’indépendance de l’Inde (1947) et les problèmes frontaliers entre l’Inde, la Chine et le Pakistan qui en ont découlé, ou aux difficultés à mener des fouilles dans les zones himalayennes de culture tibétaine en raison des traditions locales en lien avec les esprits du sol, faisant de la prospection pédestre la principale méthode d’intervention dans la région. Pour toutes ces raisons, la chronologie et le peuplement du Ladakh commencent à peine à être mieux compris.
Les premiers peuplements de très haute altitude
L’Himalaya a longtemps été considérée comme une barrière naturelle empêchant toute circulation. Pourtant les découvertes récentes attestent une occupation depuis le Paléolithique inférieur (700 000 à 300 000 ans). Au Ladakh, très peu d’informations sont disponibles et la plupart provient d’outils en pierre identifiés lors de prospections. Des chercheurs indiens du Geological Survey of India et de l’ASI ont mis au jour ces industries sur les sites d’Alchi, Nurla, Hemis et Khaltse, avec notamment des hachoirs, des racloirs et des éclats attribuables au Paléolithique inférieur et moyen (d’après des comparaisons avec la culture de Soan du sous-continent indien). Plus récemment, la MAFIL a identifié sur le site de Tirisa, dans la vallée de la Nubra, de grandes pièces bifaciales, des nucléus, des choppers, etc. remontant au Pléistocène final et au début de l’Holocène (d’environ 130 000 à 11 000 ans).

Des dates inédites
À partir du Néolithique, les données proviennent d’une série de foyers aménagés découverts sur l’ensemble du territoire. Les fouilles de Simadri Bihari Ota (ASI et co-directeur indien de la MAFIL de 2013 à 2016) ont dévoilé des dates inédites, allant du IXe millénaire au Ier millénaire avant notre ère. C’est près du col de Saser, dans la Nubra, que l’une des plus anciennes occupations a été reconnue avec une succession de foyers aménagés conservant des outils lithiques et en os ainsi que des restes d’animaux domestiques et sauvages. Il s’agirait d’un campement temporaire lié à la transhumance de sociétés semi-nomades qui pratiquaient la chasse, la cueillette et le pastoralisme. Situé à 5 411 mètres d’altitude, le col de Saser est l’un des principaux points de passage reliant le Ladakh à l’Asie centrale et au Xinjiang, région du nord-ouest de la Chine – et son utilisation s’est vu confirmer aux périodes suivantes.
Des steppes à l’Himalaya
Entre la fin du IIIe millénaire et le milieu du Ier millénaire avant notre ère, des milliers de pétroglyphes répartis dans toute la région témoignent de l’adoption au Ladakh d’éléments visuels centrasiatiques. À ce titre, la centaine de mascoïdes documentée à Murgi, non loin du col de Saser, fait de ce site l’un des plus riches d’Asie intérieure. Ce motif se caractérise par une face, le plus souvent en forme de cloche, parfois marquée par des yeux et presque toujours par des triangles. L’existence de mascoïdes dans la vallée de la Nubra inscrit cette région dans une vaste aire qui va, à l’Âge du bronze, de la Sibérie du Sud jusqu’à l’Altaï, au sein de laquelle ce motif est gravé ou peint sur des parois rocheuses, des dalles funéraires et des pierres dressées anthropomorphes. Des centaines d’autres images documentées à Murgi viennent étayer ces liens avec l’Asie centrale. La plus emblématique est celle du yak, reconnaissable par ses cornes arquées, son corps massif marqué par une bosse dorsale et le toupillon de sa queue, que l’on trouve gravé partout dans la région.

Laurianne Bruneau, maîtresse de conférences, directrice de la MAFIL, École pratique des hautes études-PSL, Centre de recherche sur les civilisations de l’Asie orientale (UMR 8155), Archéologie et Sciences de l’Antiquité (UMR 7041), et Samara Broglia de Moura, docteure en archéologie, membre de la MAFIL, Éveha International, Archéologie et Sciences de l’Antiquité (UMR 7041)
À retrouver en intégralité dans Archéologia n° 626. À commander sur : www.archeologia-magazine.com