![Le lamassu en cours de dégagement devant la porte 6 du site de Khorsabad. © P. Butterlin, fouille M. Mura, Archaïos, mission archéologique française à Khorsabad](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Khorsabad-1.jpg)
Octobre 2023 : un taureau jadis androcéphale apparaît miraculeusement préservé en Iraq du Nord. Il parachève plusieurs années de travaux difficiles menés par la mission française à Khorsabad. C’est en effet sur ce célèbre site que Sargon II, roi d’Assyrie de 722 à 705 avant notre ère, décida de créer en 716 sa nouvelle capitale, Dur Sharrukin, la forteresse de Sargon. Pour émouvante et spectaculaire que soit cette découverte, elle s’inscrit dans une campagne qui a mis en lumière l’organisation de cette grande cité aussi somptuaire qu’éphémère.
Pris dans la tourmente des conflits qui ont frappé l’Irak depuis plus de 50 ans maintenant, le site a subi diverses occupations militaires, parmi lesquelles celles de Daesh et des Peshmergas. Ces derniers y affrontent les premiers avant de fixer la ligne de front sur l’enceinte sud de la ville. Le taureau ailé dégagé en octobre dernier se trouvait précisément sous cette ancienne ligne de front, enfoui entre les fossés antichars et la ligne de bunkers construite par-dessus les restes massifs d’une des portes de la cité. Son dégagement et l’étude de son contexte sont le reflet de plusieurs démarches scientifiques : une archéologie des conflits récents dédiée aux stigmates des guerres de ce siècle, et une archéologie urbaine, destinée à comprendre la composante interne de cette agglomération assyrienne de plus de 300 hectares, dont on ne connaissait que la citadelle et les remparts.
Un colosse à la fois mutilé et miraculé
Cette sculpture a été dégagée lors d’un chantier ouvert autour de la porte 6 de Khorsabad. En effet, sept portes urbaines, et deux portes donnant accès à la citadelle, ont été identifiées et étudiées depuis le XIXe siècle, d’abord par Paul-Émile Botta, qui découvre le site, puis par Victor Place. Après avoir fouillé les portes 3 et 4, ce dernier met au jour une paire de taureaux à la porte 6, qu’il mentionne brièvement mais sans fournir ni relevé ni photo. Trois des portes urbaines de Khorsabad (1, 3 et 6) étaient ainsi décorées de telles créatures. « Notre » taureau avait déjà été (re-)découvert par les archéologues irakiens en 1992. S’il est connu par quelques photographies publiées dans la presse, son contexte demeure très vague. Malheureusement, dans la foulée, il est victime de pillards qui prélèvent sa tête en la sciant et en la découpant en morceaux. L’ensemble est toutefois intercepté par les douanes irakiennes et conservé, après restauration, au musée de Bagdad. Le taureau est quant à lui réenfoui. Daesh ne le connaissait pas, sinon il lui aurait fait subir le sort de ses congénères détruits de toutes les manières possibles à Mossoul, Nimroud ou Ninive. Lors des violents combats contre Daesh à l’automne 2016, les Peshmergas (appuyés par l’aviation américaine) recouvrent de déblais les vestiges de la porte 6, installent sur leur sommet des bunkers et creusent un large fossé antichar à la base du monticule de 1200 m2 et 20 mètres de hauteur. L’armée irakienne repousse ensuite les Peshmergas vers le nord et démantèle, en 2018, les fortifications qui ont, en partie, été dynamitées.
![Vue générale du chantier : avant-porte et porte principale 6. © P. Butterlin, fouille M. Mura, Archaïos, mission archéologique française à Khorsabad](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Khorsabad-2.jpg)
Un taureau à la croisée de plusieurs archéologies
Le terrain, tel qu’il se présentait après tous ces événements, était donc très perturbé. Les installations militaires (bunkers, déblais, tranchées, débris) sont relevées et étudiées afin de sécuriser les recherches et d’établir un état des lieux. Puis la fouille progresse sur la pente sud de ce petit tell. Grâce au géo-référencement de photos satellites prises au cours de ces vingt dernières années, il a été possible de retrouver le passage principal de la porte urbaine, son avant-porte, elle aussi bien conservée (juste au bord de la tranchée antichar) et le pavement en pierre de la voie. Le socle du lamassu était encastré dans une dépression ménagée dans la chaussée au point de contact avec le mur d’enceinte. Encore parfaitement en place et flanquant la tour occidentale, l’immense sculpture est, en dépit de la sévère mutilation subie et des fissures résultant de cette opération brutale, remarquablement préservée. Haut de 3,90 mètres, ce colosse d’albâtre figure un taureau ailé androcéphale avec tous les attributs et ornements de ce type d’hybrides : double empennage des ailes aux plumes finement sculptées, longues mèches ondulées ou torsadées à bouclettes terminales à spirales figurées sur plusieurs rangs, ou encore très belle barbe torsadée et queue ornée de ces mêmes mèches. Mais contrairement à ceux qui décoraient les portes de la ville, ce taureau ne porte pas d’inscription. À l’heure actuelle, un seul de ces taureaux gigantesques a été dégagé. Il n’y a pas de trace du second mais la fouille de la porte, sur une épaisseur de 5 mètres, n’a pas été achevée faute de temps.
![Bas-relief de la salle VII du palais de Khorsabad représentant un jardin royal par Eugène Flandin, Monuments de Ninive, 1849. CC BY-SA 4.0](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Khorsabad-3.jpg)
Derrière ce taureau, une ville inexplorée
La porte 6 donnait accès, depuis Ninive, au sud de cette capitale. Son organisation et son histoire demeurent floues : on connaît le tracé des remparts, la citadelle dominée par le grand palais royal et un autre palais, celui du prince héritier ou de l’arsenal, partiellement exploré dans l’angle sud-est. Le reste ressemble à une coquille vide au point que l’on se demande si elle n’a jamais été remplie, puisque les lieux cessent d’être la capitale de l’Empire après la mort de Sargon II. Depuis les fouilles de Victor Place, on s’interroge d’ailleurs sur de possibles inachèvements du grand chantier mené à Dur Sharrukin de 716 à 707.
![Le lamassu entièrement dégagé du site de Khorsabad. © P. Butterlin, fouille M. Mura, Archaïos, mission archéologique française à Khorsabad](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Unknown-8.jpeg)
Pascal Butterlin
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
![](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/quand-l-humanite-etait-plurielle_pdt_hd_54067.jpeg)
Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 627 (janvier 2024)
Quand l’humanité était plurielle
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