La guerre Israël-Hamas déclenchée par l’attaque du 7 octobre a mis un point d’arrêt aux fouilles archéologiques de la bande de Gaza. Elle fait peser également un risque certain sur les vestiges mis au jour alors que de beaux projets de valorisation de son patrimoine et de formation de jeunes archéologues gaziotes étaient en cours, notamment sur le site du monastère Saint-Hilarion.
Le potentiel archéologique de Gaza est longtemps resté peu exploré. L’archéologie biblique confessionnelle qui cherchait, à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, à fournir des preuves matérielles de la véracité historique de la Bible en Terre sainte, s’intéresse peu à cette région du sud de la Palestine. De leur côté, les Britanniques mènent, alors que cette dernière est dans les années 1930 sous mandat de la Société des Nations, deux grandes fouilles sur des sites de l’Âge du bronze moyen et récent, Tell el-Ajjul et Tell Jemmeh.
Deux occupations successives
À partir de 1948, le contexte du conflit israélo-palestinien devient pour le moins défavorable à l’archéologie. La bande de Gaza constitue alors la partie méridionale d’un État arabe qui s’étend initialement – d’après le plan de partage de l’ONU de 1947 – aussi en Cisjordanie et en Galilée au nord. Elle connaît deux périodes d’occupation successives, égyptienne de 1948 à 1967, puis israélienne après la guerre des Six jours de 1967. Au titre de la convention de La Haye qui protège les biens culturels en cas de conflit armé, Israël aurait dû s’abstenir de toute fouille sur ce territoire : la synagogue de Maïumas et la nécropole de Deir el-Balah sont néanmoins investiguées, les mosaïques de la première et le mobilier de la seconde rapportés en Israël.
L’espoir des années 1990
En 1993, les accords d’Oslo semblent ouvrir une nouvelle ère : Israël et l’Organisation de libération de la Palestine se reconnaissent mutuellement et Gaza passe sous l’administration – dans un premier temps provisoire – de l’Autorité palestinienne. Un service local des Antiquités est créé. « Le ministère français des Affaires étrangères a alors demandé à l’École biblique et archéologique française (EBAF) de Jérusalem de lancer une mission de coopération franco-palestinienne, se souvient l’archéologue Jean-Baptiste Humbert, père dominicain qui a assuré la direction du laboratoire d’archéologie de l’École de 1975 à 2003. Nous avons opté pour Gaza où le potentiel était encore presque intact et le plus menacé par l’urbanisation. » Étroite bande littorale de 345 km2 qui concentre aujourd’hui une population de plus de 2 millions d’habitants, la région conserve en effet dans son sol de nombreux témoignages d’un passé d’autant plus riche qu’elle occupe une position éminemment stratégique : ouverte vers la Méditerranée, située au débouché des routes commerciales venant d’Arabie, Gaza est aussi le point de passage obligé entre Moyen-Orient et Afrique. Les premières traces d’occupation remontent à la période pharaonique, vers 3500 avant notre ère. Conquise par les Philistins au XIIe siècle avant notre ère, Gaza est alors l’une des cinq puissantes cités-États de ce Peuple de la mer, avant de passer successivement sous domination assyrienne, babylonienne, perse, grecque, romaine, byzantine puis arabe à partir de 634. De 1516 à 1917, elle est partie intégrante de l’Empire ottoman.
Deux chantiers-écoles
Pour préserver ce patrimoine exceptionnel, l’EBAF lance, dès 1995, un premier chantier-école sur le site de l’ancienne Anthédon de Palestine, au cœur de Gaza-ville. En huit campagnes de fouilles successives, jusqu’en 2012, sont mis au jour de magnifiques vestiges datant de l’Âge du fer à la période romaine : puissants remparts appartenant à un glacis néo-assyrien construit pour faire face au pouvoir égyptien (VIIIe siècle avant notre ère), quartier domestique de colonie grecque (à partir du VIe siècle), vaste entrepôt sur la plage (Ve siècle), quartier aristocratique hellénistique, avec des maisons aux décors exceptionnels de style pompéien (fin du IIIe siècle), rempart du siècle suivant avec une porte de ville, jardins d’une villa maritima du Ier siècle de notre ère, ainsi que des casernes et des remparts romains (IIe-IIIe siècles). « Nous avons aussi réussi à arrêter la destruction du Tell es-Sakan, plus ancien établissement connu de Gaza, témoigne J.-B. Humbert. La stratigraphie de cette butte a révélé, sur 12 mètres d’épaisseur, une occupation de 3500 à 2000 avant notre ère. Nous y avons découvert le plus vieux rempart de Terre sainte. » Dans ces mêmes années 1990, la mission de coopération française prête main-forte à divers sauvetages menés par le Service palestinien des Antiquités, notamment celui du complexe ecclésiastique byzantin de Mukheitim à Jabaliya et, en 2002, elle reprend le vaste chantier de Umm el-Amer, premier monastère de Palestine fondé par saint Hilarion au milieu du IVe siècle.
Alice Tillier-Chevallier
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