Chère lectrice, cher lecteur,
La fin de l’année 2023 a été marquée par une compétition toujours âpre entre les différentes maisons de ventes, où Sotheby’s a repris à Christie’s la tête du podium français, avec 505 millions d’euros (419 pour les ventes publiques) et de très belles ventes de collections, dont celle des Guerrand-Hermès, du 13 au 15 décembre dernier. Avant de vous livrer une synthèse des résultats du marché de l’art 2023 dans son prochain numéro, le premier Objet d’Art de l’année vous présente dans sa rubrique « Adjugés » quelques-unes de ses plus belles adjudications : la chaise de Marie-Antoinette par Jacob – un prix record de plus de 2,5 millions ! –, les chaises du comte d’Artois qui retournent à Bagatelle, grâce à la Fondation Mansart, la table à écrire de Louis XV – meuble de Riesener, restauré et transformé par Benneman – préemptée par le CMN et qui retrouvera sa place à l’hôtel de la Marine, l’ancien Garde-Meuble… Mais un mystère subsiste dans ce feu d’artifice d’enchères et de pedigrees : pourquoi le château de Versailles n’a-t-il pas préempté la dernière commode royale en main privée, un chef-d’œuvre de Cressent livré pour la chambre de Louis XV au château de la Muette (aujourd’hui disparu) ?
L’apparition du chest of drawers
On ignore quel est l’ornemaniste ou l’ébéniste de génie qui eut l’idée de doter de tiroirs les vieux coffres dans lesquels on empilait de façon malcommode ses effets, et donna naissance, vraisemblablement dans les toutes premières années du XVIIIe siècle, à la commode. En 1708, le journal du Garde-Meuble royal témoigne de sa première apparition, sous le numéro 665 et sous la forme d’une paire en marqueterie de métal, livrée par l’ébéniste André-Charles Boulle pour la chambre de Louis XIV au Grand Trianon. Les Anglais, terre-à-terre et descriptifs, appelèrent ce nouveau meuble chest of drawers, coffre à tiroirs ; les Français, plus expansifs et lyriques, gardèrent le nom de commode.
La gloire de la Wallace Collection
Adoptée par l’aristocratie, la commode se prêta vite au jeu des chantournements, des placages savants de bois exotiques et se para des plus beaux bronzes rocaille. En 1739, pour orner sa chambre à Versailles, Louis XV en commanda un somptueux modèle à l’ébéniste Gaudreaus ; en bois de violette et satiné, ornée de splendides bronzes de Caffieri, elle resta dans les collections royales jusqu’en 1774, passa ensuite dans différentes collections privées et fut finalement acquise à la fin du XIXe siècle par le 4e marquis de Hertford. Cette French chest of drawers royale fait la gloire aujourd’hui de la Wallace Collection à Londres et manque cruellement à la chambre de Louis XV, dans les appartements intérieurs du Roi.
Le seul meuble connu de Cressent pour Louis XV
Alors pourquoi Versailles, qui affiche une politique volontariste de remeublement et qui essaie de trouver des équivalents – à défaut de pouvoir organiser le brexit de la commode de la Wallace –, n’a-t-il pas préempté la commode de Cressent mise à l’encan par SGL enchères à Saint-Germain-en-Laye et adjugée 1 832 800 € ? C’est certes beaucoup, mais en faisant les fonds de ses coffres, à tiroirs ou non, l’État a souvent trouvé de l’argent pour des œuvres de bien moindre importance. Livrée la 4 août 1738 par Gaudreaus alors attaché au service du Garde-Meuble de la Couronne, sous le numéro d’inventaire 1131, c’est le seul meuble connu de Cressent pour Louis XV, la première d’une série de grandes commodes commandées pour ses résidences – celle de Versailles vient en second – et un magnifique exemple de l’art de Cressent qui était à la fois ébéniste et sculpteur et fondait lui-même ses bronzes. La collectionneuse qui l’a acquise a promis qu’elle ne quitterait pas la France (le certificat d’exportation avait été délivré) mais évidemment les promesses n’engagent que ceux qui les croient.
Chère lectrice, cher lecteur, nous vous souhaitons une excellente année 2024 – riche en lectures royales (votre Objet d’Art) et en découvertes !
Jeanne Faton
À lire :
L’Objet d’Art n° 607
Holbein et la Renaissance du Nord à Francfort
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À lire :
Charles Cressent
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À lire :
Antoine Robert Gaudreaus
Ébéniste de Louis XV
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