Monument emblématique du Mans, l’enceinte de la ville fait l’objet d’une magistrale exposition réunissant près de 200 œuvres. Construite au cours de l’Antiquité tardive, elle est depuis plus de 40 ans beaucoup mieux connue et comprise grâce, en particulier, aux recherches archéologiques dont elle ne cesse de faire l’objet.
Entretien avec Julie Bouillet, attachée de conservation du patrimoine, musées du Mans et commissaire de l’exposition. Propos recueillis par Marie Akar.
Pourquoi proposer aujourd’hui une exposition sur l’enceinte romaine du Mans ?
Unique en France, l’enceinte romaine est un monument emblématique de la ville. Avec sa singulière tonalité rouge, ses tours, ses décors, elle constitue un élément fort du paysage urbain. Elle reste néanmoins assez méconnue du grand public, qui ne sait pas forcément qu’elle englobait à l’origine la totalité de la Cité Plantagenêt (soit 8,5 hectares de ruelles pavées, aux maisons en pan de bois et hôtels Renaissance, surplombés par la cathédrale), ni quelle est sa période de construction. C’est en 2017 que naît l’idée d’une exposition en même temps que débute le projet collectif de recherche (PCR) mené par les universités du Mans et de Nantes. Son objectif est d’apporter de nouvelles données scientifiques. Regroupant de nombreux chercheurs et archéologues, il porte notamment sur l’organisation du chantier, la datation et les matériaux utilisés. Par ailleurs, il s’insère dans un projet plus vaste porté par la Ville du Mans pour inscrire l’enceinte romaine sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Il nous a rapidement semblé important de rendre public le fruit de ces nouvelles recherches dans une grande exposition.
Quand et pourquoi cette enceinte a-t-elle été érigée ? Est-ce une exception à l’époque ?
La question de la datation de l’enceinte du Mans est très intéressante car, justement, la chronologie a évolué à la suite des récentes recherches. Jusqu’alors datée de la fin du IIIe siècle, l’enceinte aurait en réalité été construite entre 320 et 360. La construction d’enceintes au cours de l’Antiquité tardive n’est pas un phénomène exceptionnel. Entre la seconde moitié du IIIe et le Ve siècle, des enceintes urbaines sont édifiées dans tout l’Empire en commençant par Rome. La plupart des chefs-lieux de cités de Gaule et des Germanies en sont alors dotés. Dans les environs du Mans, des fortifications urbaines sont construites à la même époque à Tours, Rennes ou encore Angers. L’objectif de ces enceintes est double : il s’agit d’une part de protéger la ville par ces ouvrages qui sont avant tout des édifices militaires composés de tours, merlons et créneaux, et d’autre part de souligner le prestige de la cité. L’enceinte du Mans se démarque par la qualité et la richesse de ses décors, qui en font un ouvrage remarquable.
Que souhaitez-vous montrer à travers cette exposition ?
Nous souhaitons faire découvrir ce monument au plus grand nombre en présentant non seulement cette fortification exceptionnelle et son histoire dans la ville, depuis sa construction jusqu’à nos jours, mais aussi en offrant un nouveau regard, plus précis et complet sur cette enceinte. En effet, elle est souvent réduite à la portion longeant les bords de Sarthe. Or elle est bien plus que cela : entourant la totalité de la Cité Plantagenêt, elle était dotée d’une quarantaine de tours, dont dix-neuf subsistent aujourd’hui. Elle s’est enfin construite dans une ville en perpétuelle évolution qui s’est implantée sur et contre elle, tout en la conservant et sans jamais (ou presque) la détruire.
Quelles sont les pièces maîtresses de l’exposition ?
La pièce maîtresse de l’exposition est l’enceinte ! Tout l’enjeu a été de la présenter, alors même qu’elle ne peut être physiquement dans le musée. Pour cela, nous avons travaillé avec une scénographe qui a parfaitement saisi l’objectif de l’exposition. Elle propose une immersion en utilisant des matériaux et des couleurs rappelant les teintes beiges et rosées de ce monument. Des photographies, des dessins et des vidéos sont associés pour le matérialiser au sein du musée. Parmi les œuvres intéressantes et rarement accessibles, signalons un manuscrit du XVe siècle conservé à la Bibliothèque nationale de France. Il s’agit d’une copie de la Notitia Dignitatum, un document administratif exceptionnel rédigé à la fin du IVe siècle de notre ère. La page concernant la présence d’une garnison chez les Cénomans (la dénomination du Mans au IVe siècle est Civitas Cenomannorum) est exposée. Nous présentons aussi une photographie inédite de Robert Doisneau d’une des tours de l’enceinte (la tour du Vivier) prise lors de travaux en 1962. Enfin, je mentionnerais le Golden Man, une statuette en or mise au jour fortuitement par un cultivateur sans doute au début des années 1930. Il ne s’agit pas de l’original, conservé au Dumbarton Oaks Museum de Washington, mais d’une copie faite spécialement pour l’exposition au sein des ateliers de moulage et de chalcographie de la Réunion des musées nationaux.
D’où proviennent les objets exposés ?
Quelques-uns proviennent de la capitale de cité des Aulerques Cénomans, parmi lesquels une monnaie datant du règne de Crispus (317-326), un bloc de soubassement de l’enceinte récupéré d’un édifice du Haut-Empire (IIe-IIIe siècles), ou encore une inscription dédiée au dieu Apollon également réutilisée pour soutenir l’enceinte. Peu d’objets de l’Antiquité tardive (IVe-Ve siècles) ont été découverts au Mans. Nous avons donc cherché, afin d’évoquer la vie quotidienne ou le caractère militaire de la fortification, le type de mobilier qui aurait pu être présent dans la ville à cette époque. Des œuvres ont ainsi été empruntées à une trentaine d’établissements en France – musées, archives, bibliothèques…
Comment le parcours est-il structuré ?
L’exposition est divisée en cinq chapitres. Le premier présente ce que sont les enceintes dans l’Antiquité tardive et à quoi elles servaient. Le deuxième s’attarde sur le chantier de construction, les matériaux, les métiers, les outils. La vie quotidienne est au cœur du troisième car cette période charnière de l’Antiquité tardive n’est pas aussi bien connue que les siècles précédents de la Pax romana. Nous voyons que de nombreux changements s’opèrent à cette époque dans les modes de consommation ou les pratiques funéraires… Les quatrième et cinquième sections sont, pour moi, les plus audacieuses et apportent toute son originalité à l’exposition : nous les avons conçues pour montrer que cette fortification est toujours là aujourd’hui et qu’elle structure la ville. Si le chapitre IV explore l’enceinte et la ville du VIe au XVIIIe siècle – on y apprend notamment que, dès le VIe siècle, plusieurs tours de l’enceinte étaient utilisées comme chapelles ou comment le roi Philippe Auguste a donné l’autorisation de franchir l’enceinte, en 1217, afin de construire le chœur gothique de la cathédrale –, le chapitre V évoque comment l’enceinte est devenue presque invisible au fil des siècles. Elle réapparaît progressivement grâce au travail mené par les érudits, puis les archéologues (notamment en 1980, année au cours de laquelle Archéologia consacre la couverture de son numéro 145 à l’enceinte et titre « Le Mans – le plus beau rempart gallo-romain de France » , tandis que les pages intérieures dressent un bilan des connaissances sur ce superbe monument urbain) jusqu’à être désormais aujourd’hui un objet patrimonial pour la ville et son territoire. L’exposition souhaite faire comprendre cette évolution : comment cet édifice, niché au cœur d’une ville en perpétuelle transformation, est passé d’un bâtiment militaire à un symbole touristique.
Pour aller plus loin :
Archéologia hors-série n° 34
L’enceinte romaine du Mans
68 p., 10 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com
« Au pied du mur, l’enceinte romaine du Mans »
Jusqu’au 8 janvier 2023 au musée Jean-Claude-Boulard – Carré Plantagenêt
2 rue Claude Blondeau, 72000 Le Mans
Tél. : 02 43 47 46 45
www.lemans.fr