Lieu emblématique du tourisme parisien dès le début du XIXe siècle, les Catacombes de Paris n’avaient jamais fait l’objet d’une étude archéologique et anthropologique. C’est désormais chose faite sur une petite portion effondrée de cet ossuaire géant, à la suite de la signature d’un partenariat scientifique entre le LAAB – Laboratoire Anthropologie Archéologie Biologie (UVSQ / Paris-Saclay) et Paris-Musées.
Les Catacombes sont probablement le cimetière le plus important de Paris, mais tel n’en a pas été la destination première. Ici, pas de sépulture individuelle, mais des amoncellements d’ossements transportés dès la fin du XVIIIe siècle dans les anciennes carrières de la Tombe-Issoire pour constituer un volumineux ossuaire loin des habitations des vivants. En effet, devant les accidents à répétition de débordements de sépultures, puis la protestation des médecins et « hygiénistes », et enfin sous la pression des promoteurs immobiliers, le Parlement de Paris fait fermer le Cimetière des Saints-Innocents (à l’emplacement actuel des Halles), puis tous les cimetières parisiens.
Le royaume des « hagues » et « bourrages »
Dès 1785, les nécropoles sont ainsi curées, vidées de leurs ossements qui, la nuit, empruntent une route vers le sud pour être déversés dans les puits d’aération et d’extraction de la pierre. La Révolution française apporte par la suite son lot de victimes jetées, parfois directement, dans les galeries des Catacombes. Dès 1809, sur l’impulsion d’Héricart de Thury, l’ossuaire est sécurisé et « rangé » : il fait mettre en place des murs réguliers (« hagues ») bordant des galeries de circulations, tandis que les ossements en désordre (« bourrages ») sont amoncelés en arrière de ces parois de tibias, fémurs et crânes agrémentés de plaques en calcaire portant des inscriptions philosophiques et métaphysiques. Les restes humains des Catacombes de Paris correspondent donc à près d’un millénaire d’occupation de la ville, mais aussi de ses faubourgs, reflétant la vie quotidienne, les crises de subsistance, les épidémies et les épisodes de guerre des Franciliens. Aucun dénombrement exact n’apparaît encore possible, mais le chiffre de 6 millions de corps est habituellement rapporté. Est-il sur- ou sous-évalué ?
Un large volume d’ossements à cerner
L’effondrement récent d’une hague (hague 121) a été l’occasion de mettre en place d’une part une étude archéo-anthropologique visant à recenser le nombre minimum d’individus (NMI) sur un espace donné et d’autre part un dénombrement démographique et un diagnostic rétrospectif (paléo-pathologie) afin de mieux connaître l’état de santé de ces populations du passé – même si l’on ignore tout de l’origine exacte et de l’ancienneté de ces ossements… En septembre 2023, dans le cadre du diplôme universitaire de techniques ostéo-archéologiques et médico-légales (UVSQ), une dizaine d’étudiants a donc fini de démonter et d’étudier une partie des ossements de la hague 121 située dans la partie sud de l’ossuaire principal des Catacombes de Paris, dans la zone délimitée en surface par les rues du Couëdic, Dumoncel, D’Alembert et l’avenue René-Coty (XIVe arr.). Il ne s’agissait pas d’une fouille archéologique à proprement parler, mais plutôt d’un examen direct des ossements entre le moment de leur effondrement et celui de leur remontage par les services techniques des Catacombes de Paris.
Une structure en deux parties
Une hague est délimitée par deux piliers (construits par les carriers pour étayer le ciel de carrière) qui peuvent être « à bras » (constitués de blocs de pierres empilés) ou « tournés » (dégrossis directement dans la roche). On a considéré la structure étudiée en deux parties : sa façade (la hague antérieure, composée des os les plus réguliers, principalement des crânes et des os longs agencés en fagots) et son bourrage (la hague postérieure, contenant des os irréguliers et des fragments osseux en grand nombre). Du côté du pilier gauche, sur 1 mètre de long, 1,37 mètre de haut et 0,45 mètre de profondeur, elle restait intacte, montrant une stratification des ossements alternant trois couches successives d’os longs séparées les unes des autres par une rangée de crânes alignés. La partie effondrée s’étendait ensuite jusqu’au pilier droit, sur une distance de 2,5 mètres, les éléments osseux étalés au sol ayant recouvert la quasi-totalité du passage de la galerie.
Extraction, examen, inventaire
Pour des raisons de conservation évidentes et de non-intervention sur les structures en place, l’étude a porté exclusivement sur la partie effondrée, dissociée en deux volumes distincts : un premier correspondant à la hague antérieure, et un second à la hague postérieure, qui a été dégagée jusqu’à la base du pilier tourné. Sur le plan méthodologique, les ossements ont été extraits, examinés, inventoriés (selon leur nature, leur latéralité – droite ou gauche –, l’âge évalué au décès et le sexe de l’individu – lorsque possible) et comptabilisés in situ. Ont été mis à part les ossements animaux (principalement gros mammifères : ovi-capridés, suidés, bovidés), les ossements pathologiques et le matériel associé (ardoises, éléments céramiques, etc.).
Relevé topographique
En parallèle, la hague 121 a fait l’objet d’un relevé topographique précis avant et après prélèvement, tant par des mesures de terrain que par l’utilisation de logiciels de numérisation et de modélisation 3D. Réalisées à l’aide d’une application dédiée (Polycam), ces dernières ont permis de rendre compte des différentes étapes de prélèvements. Ces éléments aident à estimer le plus finement possible le volume effondré des parties, qui sert de valeur de référence pour évaluer le NMI déterminé par l’étude archéo-anthropologique.
Philippe Charlier
Directeur du Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (UFR des Sciences de la Santé Simone Veil, UVSQ
Composition de l’équipe de recherche (par ordre alphabétique) : Anaïs Augias, Martin Babinet, Thomas Cardot, Amandine Debrailles, Rémi Girel-Prioton, Nelly Glorian, Sandrine Jacquot-Barreau, Cédric Jouveneaux, Angélique Kerbidi-Lebihan, Guillaume Simon, Stanislas Smajda et Pauline Vianello.
Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 627 (janvier 2024)
Quand l’humanité était plurielle
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