![© Éric Le Brun](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/02/Dent-de-requin.jpg)
Sur l’île de Sulawesi, en Indonésie, des dents de requin-tigre perforées témoignent de la plus ancienne utilisation connue des poignards buccaux de ce redoutable prédateur, entre 7 000 et 5 000 ans.
La culture toalienne (du mot local « toale » qui signifie « peuple de la forêt ») est devenue mondialement célèbre depuis l’analyse génétique d’une jeune femme morte entre 17 et 18 ans il y a 7 300 ans. Son ADN a révélé que les Toaliens (ou Toaléens) descendent des premières populations d’Homo sapiens arrivées en Asie du Sud-Est. Restées isolées, elles ne se sont pas mélangées avec les vagues migratoires suivantes et se sont éteintes sans descendance, autour de 1500 avant notre ère. Mise au jour en 1902, cette culture intéresse donc aujourd’hui au plus haut point les scientifiques. Une nouvelle découverte intrigue : dans chacune des grottes de Leang Panninge et Leang Bulu’ Sipong 1, les archéologues ont découvert une dent de requin perforée, et pas n’importe lequel : un requin-tigre, de 2 mètres de long (d’après la taille de chaque dent) ! Or, les Toaliens exploitaient très peu les produits de la mer, préférant chasser le cochon sauvage : ont-ils prélevé ces dents sur des carcasses échouées sur la plage ?
Des outils composites
Il est intéressant de remarquer que le profil de ces vestiges ressemble beaucoup à celui des pointes denticulées (dites « pointes de Maros ») que les Toaliens ont coutume de façonner : les tailleurs se sont-ils inspirés de modèles pris dans la nature ? Ces dents ne sont pas des parures, au contraire des exemples similaires découverts en Nouvelle-Guinée et datés d’entre 39 500 et 28 000 ans. D’après les traces de ligaments végétaux relevées autour des perforations, elles auraient été attachées à un manche ; des traces d’adhésif naturel renforcent cette idée. Des exemples ethnographiques actuels montrent qu’elles ont sans doute participé à la fabrication d’un outil composite comme ceux qui, aujourd’hui, servent à couper le bambou ou la viande. Les traces de collagène et des expérimentations sur des dents actuelles indiquent qu’elles ont effectivement servi à couper et trancher de la viande fraîche et de l’os. Nous sommes donc face au plus ancien témoignage d’une utilisation de dents de requin dans un outil composite. Cette découverte invite à reconsidérer les restes similaires connus dans la région et jusqu’en Australie, ainsi qu’à réévaluer le mode de vie des Toaliens, trop souvent considérés comme des forestiers. Si leurs pointes sont des reconstitutions artificielles de mâchoires de requin, c’est donc que leur économie était en partie tournée vers la mer. D’autres découvertes devront préciser tout cela.
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
CARLHOFF S. et al., 2021, « Genome of a middle Holocene hunter-gatherer from Wallacea », Nature, 596. Doi : 10.1038/s41586-021-03823-6 LANGLEY M. C. et al., 2023, « Shark-tooth artefacts from middle Holocene Sulawesi », Antiquity, 97 (316), p. 1420-1435. Doi : 10.15184/ aqy.2023.144