
Si des flûtes paléolithiques sont connues en Europe, notamment celles de la grotte de Hohle Fels (Allemagne), datées de 35 000 ans avant notre ère et, à ce jour, les plus anciennes jamais identifiées, aucune n’avait jusqu’à présent été retrouvée au Moyen-Orient. Le site d’Eynan-Mallaha en Israël vient d’en livrer pas moins de sept.
Voilà plus de 20 ans que les flûtes d’Eynan-Mallaha, taillées dans des os de poules d’eau vers 12 000 avant notre ère, dormaient dans les tiroirs. Classées avec tous les autres restes animaux prélevés sur ce site de Galilée, elles n’avaient été étudiées que par les archéozoologues et les traces anthropiques étaient jusqu’ici passées inaperçues. Il aura fallu que l’archéologue Laurent Davin (CNRS / université hébraïque de Jérusalem), spécialiste de la parure au Natoufien, qui correspond, au Levant, à la fin du Paléolithique, reprenne le corpus, à la recherche des traces des prélèvements de plumes, pour que certains de ces petits os d’ailes d’oiseaux révèlent leur nature instrumentale.
Sept flûtes
Ce sont sept petites flûtes, dont la plus complète mesure 6,5 centimètres de long et présente quatre trous de jeu, fabriquées à partir de trois os différents – humérus, ulna et radius – qui ont ainsi été identifiées. « Les Natoufiens n’ont pas eu recours aux techniques de raclage en rotation qu’ils utilisaient pour fabriquer des outils ou des parures, car elles auraient pu briser ces os qui sont extrêmement fins (0,5 millimètres d’épaisseur), explique Laurent Davin. Ils ont développé une technique spécifique, identique à celle que l’on trouve en Europe au Paléolithique supérieur. »
Réplique expérimentale
Pour confirmer cette interprétation, l’équipe de chercheurs dirigée par Laurent Davin a fabriqué une réplique expérimentale, à partir d’os de canard colvert, espèce qui s’apparente le plus aux poules d’eau utilisées par les Natoufiens. L’expérimentation a permis non seulement de reproduire la technique de fabrication, jusqu’aux traces de dérapage des outils qui avaient été observées, d’écarter définitivement l’hypothèse de perforations réalisées par des rongeurs, mais aussi de restituer leur son, qui imite indéniablement le chant de rapaces. Pour comprendre leur usage, plusieurs hypothèses sont envisagées à ce stade : utilisation pour la chasse, les flûtes servant d’appeaux ; communication entre Natoufiens ou avec des faucons dressés ; ou encore de la musique, comme le pratiquent notamment les Indiens des plaines avec le chant de l’aigle, qu’ils reproduisent à l’unisson jusqu’à entrer dans un état de transe.
Une tradition plus ancienne
Ici, les trois types d’os utilisés permettent trois sons différents. « Ces flûtes témoignent d’une recherche de variations dans les sonorités et d’une connaissance de l’acoustique qui laissent supposer qu’elles ne sont pas les premières à avoir été fabriquées dans la région, commente l’archéologue. D’autres ont sans doute été réalisées auparavant, sans doute en matériaux périssables. » Dans l’immédiat, la découverte incitera très certainement les chercheurs à une relecture des collections, à la recherche de flûtes jusqu’ici non identifiées.
Alice Tillier-Chevallier
Pour en savoir plus : https://doi.org/10.1038/s41598-023-35700-9