![Portrait en buste de Salomon Reinach (1858-1932), sur un balcon du musée des Antiquités nationales (détail). Tirage d’après un négatif verre au gélatino-bromure d’argent, photographe anonyme, vers 1900. Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye. © RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale), Loïc Hamon](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2023/12/Reinach-1-edited.jpg)
D’une érudition rarement égalée, les trois frères Reinach – Joseph né en 1856, Salomon en 1858 et Théodore en 1860 – ont nourri les chroniques intellectuelles et politiques pendant près d’un demi-siècle – au point d’être surnommés par un chansonnier les frères « Je Sais Tout », déclinaison de leurs initiales « J, S, T ». Salomon, auteur prolifique de milliers d’articles et de synthèses importantes, demeure une figure majeure pour l’anthropologie, les arts et l’archéologie.
L’enfance des trois frères s’inscrit dans un contexte particulier. Leur père, Hermann Reinach, banquier d’origine allemande, fait construire en 1859 une villa en lisière de la Grande Terrasse de Saint-Germain-en-Laye, au moment précis où Napoléon III choisit de réhabiliter le Château-Vieux local, ancienne résidence royale alors ruinée, pour y installer un musée des antiquités celtiques et gallo-romaines. Les réseaux de la toute nouvelle discipline archéologique, née de l’analyse du terrain et de la documentation, y font converger les résultats des fouilles et collectes menées sur le territoire national ainsi que des ensembles ou des pièces extranationales « de comparaison ». Les frères Reinach reçoivent une éducation conjuguant lettres, arts et sciences. Tous trois excellent et collectionnent les prix généraux dès le lycée. Salomon Reinach intègre la rue d’Ulm et s’y bâtit une réputation de polygraphe, que la curiosité double d’une capacité à traduire vers le français de multiples langues avec une prédilection marquée pour le grec ancien.
![Myrina, dessin de Salomon Reinach, 1880. MAN, centre des archives, Album noir 38D2 « Myrina, Crète ».](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2023/12/Reinach-2-scaled.jpg)
De la philologie à l’archéologie
Reçu à l’École française d’Athènes en 1879, il achève d’abord son Manuel de Philologie avant de rejoindre l’institution. Le moment est à la tanagréenne : en effet, les petites statuettes de terre cuite, particulièrement intrigantes pour ce connaisseur de la mythologie grecque, alimentent depuis une décennie les appétits des collectionneurs mais, à côté des originaux, circulent des faux. La compréhension de cette production transite par une classification méthodique telle que proposée par Olivier Rayet, figure tutorale de cette jeune génération d’hellénistes, et la mise en œuvre de campagnes de fouilles alliant enregistrement et repères cartographiques. Salomon Reinach réunira d’ailleurs après la mort prématurée d’Olivier Rayet en 1887, ses articles pour en produire un premier volume autour de l’histoire de l’art antique publié en 1888. Le compte-rendu qu’en réalisera Théodore met l’accent sur le modèle que constituait Rayet pour ses cadets : « science, goût, talent d’exposition, les trois qualités maîtresses de l’archéologue […] voilà pourquoi la jeune génération des antiquaires a tout de suite reconnu en lui un maître et s’honore de marcher sur ses traces ».
![Antonio Chichi, Maquette du Temple de la Fortune Virile, bois, liège, terre cuite, fin du XVIIIe siècle. Déposée à l’École nationale supérieure des beaux-arts, cette maquette a ensuite été affectée au musée à la demande de Reinach en 1903. Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye, MAN 49793. © RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale), Franck Raux](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2023/12/Reinach-4-1024x849.jpg)
Renouveau méthodologique
Pour l’heure, entre 1880 et 1882, avec le compagnonnage d’Edmond Pottier sur site puis au fil d’une correspondance nourrie, Salomon Reinach coordonne pour l’École française d’Athènes plusieurs campagnes sur le terrain des frères Baltazzi dans le port d’Ali-Aga (actuelle province d’Izmir, Turquie). Près de 5 000 sépultures de la nécropole hellénistique et romaine de Kalabassary, associée à la cité de Myrina, sont fouillées, dont 965 étudiées précisément pour leur mobilier en terre cuite. Ses observations et le recours à la comparaison formelle par l’usage de la photographie (promu par Rayet) lui permettent de mettre en exergue différents ateliers, et de contribuer à la lutte contre les faussaires. Conformément à la législation alors en vigueur, les découvertes sont partagées entre le musée archéologique d’Istanbul et le musée du Louvre, par transfert de l’École française d’Athènes. L’aboutissement de l’étude prend la forme d’une synthèse illustrée, éditée en 1888. Ce contact nouveau avec le terrain constitue pour le grammairien un renouveau méthodologique dans l’approche des sociétés du passé et un élargissement de ses intérêts déjà éclectiques.
![Portrait en buste de Salomon Reinach (1858-1932), sur un balcon du musée des Antiquités nationales. Tirage d’après un négatif verre au gélatino-bromure d’argent, photographe anonyme, vers 1900. Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye. © RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale), Loïc Hamon](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2023/12/Reinach-1.jpg)
De la Méditerranée à la Russie
De retour à Saint-Germain-en-Laye, Reinach retrouve un diplomate féru d’archéologie, rencontré à Constantinople : Charles-Joseph Tissot. Un premier travail de classement de la documentation accumulée lors de la carrière de ce dernier les avait liés en 1881 et motivé les retrouvailles souhaitées par Tissot pour enfin publier sa somme sur la province romaine d’Afrique. Pour en faciliter l’achèvement, celui qui est alors Président de la Commission archéologique de Tunisie fait nommer Reinach secrétaire au sein de cette même commission. La mort prématurée de Tissot conduit Salomon, devenu par testament légataire des manuscrits et dessins, à finaliser cette somme en 1887 après quelques missions de contrôle sur les sites concernés. C’est ainsi qu’un nouveau chapitre de sa carrière s’écrit à l’ombre des murs de son enfance. Il remplace Gabriel de Mortillet, entré en carrière politique, comme attaché de conservation auprès du directeur et co-fondateur du musée des Antiquités nationales, Alexandre Bertrand. La reconstruction du Château-Vieux n’est pas encore achevée et une partie seulement des salles projetées est accessible. Salomon Reinach est nommé pour contribuer aux aménagements des espaces d’exposition et participer à la diffusion des connaissances. C’est dans cet esprit qu’est créé à son arrivée le service photographique du musée, un medium qu’il promeut pour les recherches archéologiques. Il passe près de cinq décennies au musée et accompagne ainsi la réalisation muséographique des salles : entré en janvier 1886, il devient conservateur-adjoint en 1893, puis directeur de 1902 à sa mort en 1932.
![Carte postale du Musée Chrétien voulu par Salomon Reinach dans la chapelle du musée. © MAN](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2023/12/Reinach-3.jpg)
Rose-Marie Mousseaux
Conservatrice générale du patrimoine, directrice du musée d’Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
![](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2023/11/ARCH626-1-754x1024.jpg)
Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 626 (décembre 2023)
Splendeur des collections antiques du Louvre
81 p., 11 €.
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