
Nous avons tellement l’habitude d’imaginer nos ancêtres lutter pied à pied contre des bêtes sauvages que nous oublions qu’ils pouvaient se procurer de la nourriture différemment. La preuve avec ces crabes pêchés par les derniers chasseurs-cueilleurs européens.
Sur la façade atlantique, et jusqu’en mer du Nord, s’étalent de grands amas coquilliers : 330 sont déjà connus et répertoriés. Leur origine ? Les repas des Mésolithiques, au VIe millénaire avant notre ère. Châteaux de coquilles impressionnants, ils ont également servi de lieux d’habitat puis de sépultures. Depuis une quinzaine d’années, les préhistoriens s’intéressent à des témoignages plus discrets : des pinces et des mandibules, identifiées dans 55 de ces amas. Que venaient-elles faire là ? Est-ce une présence accidentelle, comme lorsque nous découvrons de petits crabes roses en ouvrant les moules marinières ? Du tout…
Manger et penser
Les traces relevées indiquent que ces crabes ont été cuits, grillés, décortiqués par l’Homme, ou dégustés en soupe. Ils représentent d’ailleurs un apport non négligeable en protéines. À Beg-er-Vil, dans la baie de Quiberon, les 5 860 crabes retrouvés constituent une masse de 762 kg, ce qui correspond à environ cinq carcasses de grands cerfs ou à un aurochs et demi. Mais ce crustacé avait d’autres utilisations. Il a pu être employé comme appât et sa carapace être façonnée en outils. Ramassé à la pêche à pied ou attrapé dans les rochers, il pouvait aussi être capturé dans des nasses en osier – c’est pure hypothèse, les matériaux ne s’étant pas conservés. Le crabe a pu également être « bon à penser » : cet animal étrange change en effet de peau une fois par an. Chez les Yanomanis d’Amérique du Sud, cette propriété symbolise le passage à l’âge adulte. Pouvait-il aussi symboliser une sorte de résurrection ? Est-ce pour cela que certains Mésolithiques se sont fait enterrer auprès d’eux ?
Jacques Daniel