
Troisième trafic mondial après ceux des stupéfiants et des armes, le pillage archéologique a pris ces dernières années une ampleur inédite, accentuée encore par les conflits internationaux et le développement d’Internet. L’exposition présentée au musée d’histoire de Marseille alerte sur l’illégalité de la prospection par détecteur de métaux, qui est loin d’être le loisir anodin que certains voudraient y voir. Explications de Fabrice Denise, directeur du musée, et Xavier Corré, attaché de conservation du Patrimoine, commissaire associé de l’exposition.
Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier.
Cette exposition coïncide en partie avec celle présentée au musée départemental Arles antique sur les pillages sous-marins. Faut-il y voir une volonté d’unir vos forces pour alerter sur les méfaits de ce fléau ?
Fabrice Denise : La coïncidence des deux expositions est un heureux hasard de calendrier – mais qui, en réalité, n’en est pas tout à fait un. C’est d’abord l’aboutissement du travail engagé par Xavier Delestre, conservateur régional de l’archéologie à la Drac Provence-Alpes-Côte d’Azur, et marqué notamment par son rapport de 2018. C’est aussi le signe d’un sujet arrivé à maturité, dont témoigne la résonance médiatique actuelle dans différentes affaires, comme celles des amphores d’Antibes ou du pilleur de Lorraine. L’archéologie contemporaine n’est plus cette discipline scientifique réservée à une poignée de savants telle qu’elle pouvait encore l’être il y a quelques années : elle touche désormais de près à de nombreux faits de société – et le pillage archéologique est l’une de ces questions que l’on ne peut plus ignorer.
Xavier Corré : Les pillages archéologiques ont acquis ces dernières années une visibilité sans précédent, liée notamment aux exactions de Daech – sur le site de Palmyre et ailleurs – et plus largement au développement des technologies numériques. L’utilisation des smartphones a démultiplié de façon vertigineuse la circulation des images réalisées par les pilleurs et par les détectoristes et a contribué à l’engouement pour une activité qui se pratique parfois en famille ou lors de grands rallyes, organisés sur Internet ou sur les réseaux sociaux et rassemblant jusqu’à plusieurs centaines de personnes. Les échanges sur les forums sont sidérants – même s’ils se font désormais plus discrets. On y trouve les propos de détectoristes débutants qui se vantent d’avoir découvert leurs premiers as (une monnaie romaine) de Nîmes et qui reçoivent les félicitations de toute la communauté. Nous présentons dans l’exposition des captures d’écran montrant ce type d’échanges. Le sous-sol français et son contenu, même dans un jardin ou un champ privés, sont pourtant la propriété de l’État !

Le titre choisi, « Trésors coupables », pointe un doigt accusateur. Est-ce un signe de l’urgence de la situation ?
F. D. : Il ne suffit plus de se plaindre des ravages irrémédiables commis à l’encontre du patrimoine et du bien commun par des détectoristes, qui n’ont d’autre objectif que leur propre enrichissement. L’exposition ne cherche ni à diaboliser ni à pardonner, simplement à sensibiliser le public pour que les « pilleurs du dimanche » ne puissent plus prétendre qu’ils ne savaient pas.
X. C. : Il s’agit de montrer que le fait de prélever ne serait-ce que quelques objets – ce qui peut paraître anodin – conduit, de façon cumulée, à des chiffres astronomiques en termes de pertes de connaissances. L’exposition est là pour faire un rappel à la loi, évoquer les peines dont sont passibles ceux dont l’imaginaire est encore nourri par les aventures d’Indiana Jones ou de Tintin, et de replacer le cadre historique : dès 1937, la Conférence internationale du Caire a établi que le contexte de fouilles est aussi important que l’objet archéologique lui-même. Si le premier est oublié ou inconnu, le second devient orphelin, muet, perdant toute sa portée et sa valeur scientifique.


Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 616 (janvier 2023)
La cuisine gauloise à la lumière de l’archéologie
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com
« Trésors coupables. Pillages archéologiques en France et dans le bassin méditerranéen »
Jusqu’en 12 novembre 2023 au musée d’histoire de Marseille
2 rue Henri Barbusse, 13001 Marseille
Tél. 04 91 55 36 00
www.musee-histoire-marseille-voie-historique.fr