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Les tombes à hypogées : dernières découvertes

Vue d’ensemble de la tombe de Dongmengyi à Shuangliao, Jilin, XIe siècle. © P. Sebillaud, 2016
Vue d’ensemble de la tombe de Dongmengyi à Shuangliao, Jilin, XIe siècle. © P. Sebillaud, 2016

Au cours de ces dernières années, l’explosion du nombre de fouilles préventives et programmées en Chine a permis de mettre au jour de très nombreuses tombes à hypogées. Ces découvertes récentes changent radicalement les connaissances sur le monde funéraire ; mises en images du monde réel, ces tombes souterraines apportent aussi un précieux témoignage sur l’architecture chinoise.

En Chine, un type de structure funéraire domine la documentation des deux derniers millénaires : les tombes souterraines à chambres.

Qu’est-ce qu’une tombe à hypogées ?

Ces hypogées, parfois excavés dans des falaises, sont généralement aménagés de la façon suivante : d’abord, on creuse une grande fosse avec une rampe pour y descendre, puis on y construit une architecture en brique ou en pierre composée d’une entrée avec un corridor et d’une ou plusieurs pièces. Ces dernières accueillent le ou les défunts et le mobilier. Le corps peut avoir été préalablement incinéré et placé dans une urne ; ou préparé, orné et déposé dans un cercueil en bois, ou un contenant en pierre, plus ou moins monumental ou architecturé ; ou encore simplement allongé sur une banquette. Le mobilier funéraire est déposé suivant la fonction des objets et des salles, à l’image d’une maison chinoise, où l’espace public se trouve près de l’entrée et les appartements privés dans les pièces du fond. Il peut comprendre des poteries, de la vaisselle en métal, des outils, des objets de toilette (miroirs en bronze), des figurines de serviteurs ou d’animaux, des meubles, des peintures et des livres… Certains objets sont issus de la vie quotidienne, d’autres sont offerts lors des funérailles (occasion d’étaler les richesses de la famille et de ses relations) ou spécialement fabriqués pour la tombe.

Tumulus et shendao

Après les cérémonies, la fosse et la rampe sont remplies de terre. Un tumulus est alors créé, parfois agrémenté d’une stèle et de structures pour faire des offrandes aux défunts. Les tombes aristocratiques sont parfois pourvues d’installations en surface : parcs funéraires avec shendao, enceinte, entrée avec portiques et tours, jardins, pièces d’eau, bâtiments et cuisines pour l’organisation des rituels, les empereurs allant jusqu’à déplacer des populations pour peupler des bourgs créés pour entretenir leurs mausolées.

Diaporama d’un shendao au cimetière du clan des Wanyan Xiyin à Shulan, dynastie Jin, XIIe siècle, musée du Jilin. © P. Sebillaud, 2019
Diaporama d’un shendao au cimetière du clan des Wanyan Xiyin à Shulan, dynastie Jin, XIIe siècle, musée du Jilin. © P. Sebillaud, 2019

Deux millénaires d’histoire

Au IIe siècle avant notre ère, les tombes des aristocrates sont aménagées dans des fosses avec des cercueils gigognes en bois décorés de symboles et de créatures fantastiques. Au Ier siècle avant notre ère, les rites se déplacent dans la tombe, l’usage des substituts funéraires (ou mingqi) se généralise, et les femmes sont plus souvent enterrées avec leur mari. Au début de notre ère, les plafonds en coupole couvrant une salle carrée apparaissent au Henan, créant un espace symbolisant le cosmos. C’est donc du début du Ier siècle que l’on date les premiers hypogées architecturés dans le centre et le nord de la Chine. Au IIe siècle, certaines tombes deviennent familiales. Les nombreuses fouilles récentes montrent que si elles étaient à l’origine réservées aux membres de l’aristocratie, elles sont, à partir du Ier et surtout du IIe siècle, également construites pour des notables et des membres aisés des classes moyennes : eunuques de la cour, fonctionnaires, marchands, propriétaires terriens ou entrepreneurs. Ce type d’architectures funéraires, leurs décors parfois réalisés avec des poncifs par des ateliers spécialisés que l’on commence tout juste à pouvoir identifier, et les croyances qu’elles supportaient, se diffusent et font de ces tombes un témoignage matériel de la « hanisation » du pays.

Les Six dynasties

Entre les Han (206 avant notre ère-220 de notre ère) et les Tang (618-907), les révoltes, les guerres et les pillages favorisent l’aménagement de tombes plus petites, dont de nouveaux exemples sont régulièrement publiés dans les revues chinoises spécialisées. Cette période de désunion et de morcellement, appelée la période des Six dynasties, voit naître de nombreuses dynasties locales concurrentes et constitue un moment d’intenses échanges à travers toute l’Asie. Dans les tombes, les peintures murales en trompe-l’œil se développent. L’adoption des hypogées par chaque nouveau groupe culturel est l’occasion d’ajouts ou de modifications que les découvertes récentes permettent peu à peu de percevoir. La chambre principale de certaines tombes se dote parfois de sarcophages architecturés en pierre. Dans les tombes aristocratiques des Wei du Nord à Luoyang (entre 494 et 534) des corridors apparaissent entre chaque pièce, y compris à l’entrée, créant un nouvel espace entre la rampe et la chambre funéraire.

Des Tang à la période républicaine

Sous les Tang, des motifs venus des routes de la Soie enrichissent l’iconographie et l’ornementation. Sous les Song (960-1279), les plans se diversifient encore, avec de plus en plus de salles centrales octogonales qui voient leurs décors chargés de nouvelles symboliques. L’usage des tombes à hypogées (le plus souvent en brique) perdure dans les familles aisées au cours des périodes Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911). Les tombeaux impériaux, pourvus d’immenses salles souterraines et de gigantesques parcs funéraires en surface, représentent l’apogée de ce phénomène : le plus bel exemple est le Dingling, mausolée de l’empereur Wanli (règne 1572-1620) construit entre 1584 et 1590, seul tombeau impérial Ming qui ait été fouillé (en 1958) : 18 hectares de parc, hypogée en briques de 1 195 m2, avec plus de 3 000 objets. Aujourd’hui, les tombes de notables Ming sont mises au jour par dizaines lors de fouilles liées à l’agrandissement des villes. À la fin des Qing et au cours de la période républicaine (1911-1949), les familles suffisamment aisées pour commanditer de telles constructions sont de moins en moins nombreuses et les troubles qui bouleversent le pays mettent fin à cette tradition bimillénaire. Le phénomène des tombes à hypogées représente des dizaines de milliers de structures, qui, si elles ne faisaient pas spécialement l’objet de recherches auparavant, sont aujourd’hui publiées par centaines.

Urne en pierre (shihan) du cimetière du clan des Wanyan Xiyin à Shulan, dynastie Jin, XIIe siècle, musée ethnographique du Nord-Est. © P. Sebillaud, 2020
Urne en pierre (shihan) du cimetière du clan des Wanyan Xiyin à Shulan, dynastie Jin, XIIe siècle, musée ethnographique du Nord-Est. © P. Sebillaud, 2020

Pauline Sebillaud
Archéologue, chargée de recherche, CNRS, CRCAO UMR 8155 / Université du Jilin

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