
Nous avons l’impression qu’il a toujours été là. Et pourtant, il a bien fallu un premier contact… Quand l’Homme a-t-il domestiqué le chien ? Une nouvelle pièce du puzzle vient d’apparaître dans la grotte d’Erralla, au Pays basque espagnol.
La domestication du chien se fit probablement à partir de louveteaux capturés puis élevés à l’intérieur du campement. Les éthologues ont en effet observé depuis longtemps que les chiens se comportent comme de petits loups qui n’auraient jamais grandi. D’autres estiment que le chien et l’Homme ont co-évolué, l’un transformant l’autre et réciproquement. En tout cas, certains avantages sont indéniables nous concernant : une chasse plus efficace, grâce à l’odorat de notre collaborateur ; une meilleure hygiène, celui-ci consommant les restes ; une source de chaleur contre laquelle se blottir ; et une protection contre les intrus, pour une nuit plus tranquille. De son côté, c’est l’assurance d’une place près du feu, d’une nourriture facile et d’une vie moins aventureuse (n’en déplaise au loup de La Fontaine). Mais quand cela s’est-il passé ?
Une cohabitation longue et complexe
Le débat est toujours vif entre archéozoologues et paléogénéticiens. Il y a les tenants de la chronologie longue, pour qui le chien est domestiqué depuis au moins 35 000 ans. Et ceux qui prennent partie pour une chronologie plus courte, l’animal nous accompagnant avec certitude depuis environ 14 000 ans. De nombreux crânes de canidés sont connus : appartiennent-ils à des loups apprivoisés, des « proto-chiens » ou déjà à des chiens ? Certains chercheurs prétendent que des molosses étaient utilisés pour porter des charges lourdes déjà au Gravettien, en Ukraine, autour de 23 000 ans. En Russie, le crâne d’un chien daté de 33 000 ans a été identifié dans la grotte de Razboinichya. Un enfant aurait marché dans la grotte Chauvet, accompagné d’un canidé.
Gardiens et chasseurs
D’après les archéozoologues, il y avait au moins deux types de « proto-chiens » : de gros molosses à l’est de l’Europe et des variantes plus graciles à l’ouest. Des gardiens d’un côté, des chasseurs de petits gibiers de l’autre. Il est possible alors que la domestication du chien se soit réalisée plusieurs fois au cours du Paléolithique supérieur, mais qu’à chaque fois, l’expérience ait tourné court : soit que les animaux aient fini par tous disparaître, soit que leurs maîtres n’aient plus eu envie de continuer. Car la génétique est formelle : les chiens actuels descendent de deux populations (asiatique et européenne) qui se seraient croisées en Europe autour de 14 000 ans. Peut-on faire le rapprochement avec des déplacements de populations humaines ? Y aurait-il un lien par exemple avec le développement de la culture magdalénienne que certains préhistoriens pensent venue d’Europe de l’Est ? Les premiers « vrais » chiens domestiqués retrouvés appartenaient d’ailleurs à des Magdaléniens (abri du Morin en France, site de Bonn-Oberkassel en Allemagne). À noter que le chien allemand, malade, a bénéficié de soins qui ont prolongé (un peu) sa vie.
D’autres canidés
Pour compliquer le tout, il existait d’autres canidés : le renard (roux et polaire) bien sûr, mais surtout le dhole (ou cuon), qui aurait pu aussi subir des essais de domestication. Une nouvelle étude d’un humérus de canidé retrouvé en 1985 sur le site magdalénien d’Erralla relance le débat : autrefois attribué à un loup, il est désormais, grâce à son ADN, rapproché du chien domestique et non du dhole. Daté d’environ 17 000 ans, il vieillit encore un peu la première étape qui conduira… Médor sur le canapé. Cette réévaluation aidera peut-être à réviser l’attribution d’autres restes considérés jusqu’ici comme lupins : Ölknitz, Teufelsbrücke et Kniegrotte, en Allemagne. Les Magdaléniens seraient alors les premiers groupes de chasseurs-cueilleurs à avoir installé durablement cette collaboration singulière, qui dure toujours. Reste une question : pourquoi ne pas avoir représenté leurs chiens sur les parois de grottes ?
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
HERVELLA M. et al., 2022, « The domestic dog that lived ~17,000 years ago in the Lower Magdalenian of Erralla site (Basque Country): A radiometric and genetic analysis », Journal of Archaeological Science, Reports 46, 103706. Doi:10.1016/j.jasrep.2022.103706