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L’Homme préhistorique à la merci du climat

© Éric Le Brun
© Éric Le Brun

L’Humanité, aujourd’hui triomphante, a plusieurs fois subi les foudres du climat, au point de frôler la disparition. De nouvelles études, notamment une série d’articles parus dans un numéro spécial de la revue Science, nous rappellent cette leçon d’humilité.

Des analyses génétiques fondées sur des personnes modernes africaines et non africaines suggèrent ainsi qu’autour de 930 000 ans, la population fut réduite de 98,7 %, passant d’environ 100 000 personnes à seulement 1 280 individus reproducteurs. L’une des raisons serait un événement climatique majeur, appelé 0.9 Ma event, un épisode de froid intense qui aurait accompagné un important changement dans la faune et la flore. La maîtrise du feu dès cette époque aurait permis à la démographie de repartir à la hausse à partir de 813 000 ans. Mais cela mit, pour quelque temps, un coup d’arrêt au premier peuplement de l’Europe.

Disparitions troublantes

On trouve les premières traces d’une présence humaine en Géorgie, sur le site de Dmanissi, vers 1,8 million d’années ; puis en Espagne, dans la Sierra de Atapuerca, où l’on a identifié un fragment de mâchoire, des dents et des outils datés d’1,2 million d’années puis un morceau de crâne d’1,4 million d’années à Sima del Elefante, ainsi qu’une dent et des outils dans la région d’Orce, toujours autour d’1,4 million d’années. Puis le coup de froid semble avoir dépeuplé l’Europe, puisque nous ne connaissons plus aucun autre reste humain avant ceux d’Homo antecessor (« l’Homme éclaireur »), présent dès 800 000 ans dans la Sierra de Atapuerca, en Espagne. Des empreintes de pas retrouvées sur une plage fossile à Happisburgh, au Royaume-Uni, datées d’environ 780 000 ans, laissent supposer que le nord était en voie de reconquête. La réalité doit cependant être plus nuancée : même si le plus vieux « Français » connu est celui à qui appartenait la dent mise au jour à la Caune de l’Arago (Tautavel, Pyrénées-Orientales) datée d’environ 560 000 ans, des témoignages indirects (outils, restes de repas ou de boucherie) attestent la présence humaine sur notre territoire entre 1,2 million d’années et 700 000 ans : Bois de Riquet (Lézignan-la-Cèbe, Hérault), le Vallonnet (Menton, Pyrénées- Atlantiques), Soleilhac (Blanzac, Haute- Loire), Pont-de-Lavaud (Indre). Quant à notre quasi-disparition, certains généticiens laissent entendre qu’il ne pourrait s’agir que d’un groupe d’humains parmi d’autres (qu’il nous reste à identifier).

Se métisser par temps chauds

Enfin, c’est une autre raison climatique, autour de 200 000 ans, qui pourrait avoir facilité le métissage entre Néandertaliens et Denisoviens. Les deux humanités ont en effet pu occuper ensemble le continent eurasiatique entre 400 000 et 30 000 ans. Les Néandertaliens préféraient les zones plus forestières, les Denisoviens les environnements de toundra. Durant les phases glaciaires, Néandertal concentrait ses habitats dans le sud de l’Europe et autour de la mer Noire. Mais pendant les phases de réchauffement, les groupes se diffusaient jusqu’en Sibérie, dans les monts de l’Altaï, où ils pouvaient rencontrer des tribus de Denisoviens. De cela, nous avons la preuve : les restes d’une fillette décédée à 13 ans voici 50 000 ans, avec un ADN prouvant qu’elle avait une mère néandertalienne et un père dénisovien. Ainsi, quoiqu’on en dise, nous sommes bien et, depuis fort longtemps, les enfants du climat !

Jacques Daniel


Pour aller plus loin :

HU W. et al., 2023, « Genomic inference of a severe human bottleneck during the Early to Middle Pleistocene transition », Science, 381 (6658), p. 979-984. Doi : 10.1126/science.abq7487 MARGARI V. et al., 2023, « Extreme glacial cooling likely led to hominin depopulation of Europe in the Early Pleistocene », Science, 381 (6658), p. 693-699. Doi : 10.1126/science.adf4445 RUAN J. et al., 2023, « Climate shifts orchestrated hominin interbreeding events across Eurasia », Science, 381 (6658), p. 699-704. Doi : 10.1126/science.add4459

STRANI F. et al., 2019, « The effects of the “0.9 Ma event” on the Mediterranean ecosystems during the Early-Middle Pleistocene transition as revealed by dental wear patterns of fossil ungulates », Quaternary Science Reviews, 210, p. 80-89. Doi : 10.1016/j.quascirev.2019.02.027 https://www.mnhn.fr/fr/actualites/l-espece- humaine-a-t-elle-frole-l-extinction-il-y-a- 900-000-ans

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