La bande dessinée entre au Collège de France ! Invité pour l’année 2022-2023, l’écrivain et scénariste Benoît Peteers occupe la chaire de « Création artistique » pour parler de la « poétique de la bande dessinée ». L’occasion d’évoquer avec lui les liens profonds que ce média entretient avec l’archéologie.
Propos recueillis par Romain Pigeaud.
Vos cours évoquent la longue tradition dont la bande dessinée est l’héritière : la colonne Trajane à Rome, la tapisserie de Bayeux, voire les parois de la grotte Chauvet ou de Lascaux. Retrouver un mode de narration graphique qui n’implique pas de savoir lire, qui n’intéresse plus aujourd’hui la peinture, mais dont nous aurions besoin pour enclencher notre imaginaire, expliquerait-il notre fascination pour la bande dessinée ?
Je nuancerais assez fortement la réponse à cette question. Les auteurs de bande dessinée ont longtemps cherché des origines nobles et légitimes à cet art, lorsqu’il était dédaigné. Certes, des expériences récentes dans la bande dessinée numérique et murale nous disent qu’une frontière incertaine la relie aux pratiques anciennes que vous citez, au moins dans la manière d’agencer l’espace. Aujourd’hui, les travaux de recherche s’intéressent davantage à « l’archéologie » du neuvième art, avec la numérisation des archives par exemple. On s’aperçoit que la bande dessinée est une forme liée à l’imprimerie et au monde du papier (de la presse, en particulier), et surtout, qu’elle n’est pas un épiphénomène, mais a beaucoup infusé dans la société. Les « archéologues » de la bande dessinée, comme Thierry Groensteen, Antoine Sausverd et Thierry Smolderen, ressuscitent un grand nombre d’œuvres dont les historiens n’avaient pas tenu compte. Des illustrateurs, comme Benjamin Rabier et Caran d’Ache par exemple, ont aussi réalisé de remarquables planches de bande dessinée. C’était une facette de leur activité, dont nous prenons seulement la mesure.
L’archéologie fascine, comme le montrent certains albums « archéologiques » d’Hergé, de E. P. Jacobs ou bien sûr de Jacques Martin. Selon vous, l’archéologie est-elle alors juste un réservoir documentaire à belles histoires, ou dévoile-t-elle un lien plus profond ?
On pourrait voir des liens du même ordre entre l’architecture et le roman policier, notamment chez Agatha Christie. L’intérêt suscité par l’archéologie, que l’on retrouve également chez Freud, reflète l’attrait pour les mondes perdus, comme sources d’aventures et de mystère, comme dépaysement. Hergé a effectué des recherches documentaires approfondies dans la littérature archéologique disponible, notamment pour Le Temple du Soleil. Il portait un regard respectueux sur les civilisations anciennes, pas si fréquent à cette époque. Bien sûr, il était tributaire du savoir de son temps. Au début des Sept Boules de cristal, il pose le problème de la violation des sépultures anciennes et, en cela, il se montre plutôt pionnier. Hergé a pu également susciter des vocations et contribuer à donner le goût de l’archéologie à ses lecteurs. Mais une bande dessinée est avant tout un récit d’aventures ; il ne s’agit pas de la transformer en ouvrage documentaire.
Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 618 (mars 2023)
Vaison-la-Romaine, dernières découvertes
81 p., 11 €.
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