Ce montant de mors en bronze prend la forme d’un grand cheval debout portant un petit cheval sur son dos et protégeant deux canards sous son ventre. Cette pièce rare a été produite au sud des Alpes, probablement en Italie du Nord, au cours du VIIIe siècle avant notre ère. Issue d’une ancienne collection américaine, elle a été acquise en vente publique par un généreux mécène qui en a fait récemment don au musée. Elle n’a malheureusement pas de contexte archéologique connu.
Fabriqués par paire pour être disposés de part et d’autre de la bouche de l’équidé, les montants de mors apparaissent en Europe avec la domestication du cheval moderne, à partir de la fin du IIIe millénaire (vers 2200 avant notre ère).
Histoire d’une domestication
Les recherches récentes ont permis de préciser l’histoire de la domestication de cet animal réputé pour être « la plus belle conquête de l’homme ». Doté d’un dos plus solide que ceux qui le précèdent en Europe, le cheval moderne, originaire des steppes du Nord Caucase, est aussi plus docile et plus rapide. Il est utilisé pour la traction des chars légers et pour la monte. Sans doute considéré comme un bien précieux, il est fréquemment associé aux élites guerrières, politiques et économiques. Les hommes de la culture de Sintashta (Tadjikistan) sont ainsi parfois inhumés sous de grands tumuli avec leur char et leurs chevaux dès le début du IIe millénaire avant notre ère. En Europe occidentale, les traces de la diffusion du cheval sont plus discrètes. À partir du XIVe siècle avant notre ère, on commence à retrouver des éléments de harnachement (mors en os) ou de parures équestres (phalères en bronze) dans les sépultures riches, masculines et féminines. Son importance dans le système de valeur des sociétés de la fin de l’Âge du bronze est manifeste à travers ses nombreuses représentations, parfois combinées au serpent, et surtout fréquemment au soleil que l’on identifie sur les objets votifs ou personnels ainsi que sur les parois gravées des sanctuaires de plein air, comme en Suède ou dans les Alpes.
Des symboles solaires
Le cheval apparaît donc au cœur du vocabulaire symbolique de la fin de l’Âge du bronze et du premier Âge du fer, au nord comme au sud de l’Europe, dans une mythologie qui associe également le culte solaire et l’oiseau aquatique pour évoquer le cycle de la vie et la course du soleil dans le ciel. Sur la plaque de mors récemment acquise par le musée, deux chevaux surmontent deux canards. Au centre, le soleil est symbolisé par la large perforation en forme d’anneau qui est destinée à permettre le passage des canons du mors. La plupart des images figurant sur les objets rituels de l’Âge du bronze final sont construites dans une opposition duelle, en symétrie axiale, horizontale, verticale ou inversée. Il est également fréquent de retrouver dans les dépôts d’objets métalliques, votifs ou funéraires, des éléments associés, de même type et de même décor mais avec une différence notable de taille, comme c’est le cas ici. La question de la gémellité est complexe et doit se comprendre comme un procédé narratif de mise en perspective chronologique, filiale et hiérarchique.
Rolande Simon-Millot, conservatrice en chef responsable des collections du Néolithique et de l’Âge du bronze au musée d’Archéologie nationale
Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 625 (novembre 2023)
Saint-Denis révélée par l’archéologie
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