
Quel était le régime alimentaire de l’homme de Néandertal ? Était-il exclusivement carnivore comme on l’a longtemps pensé ? Une nouvelle étude, fondée sur une méthode originale, semble le confirmer, mais permet aussi de relancer le débat.
« N’invitez jamais Néandertal au restaurant ! », conseillaient avec humour la paléoanthropologue Silvana Condemi et le journaliste scientifique François Savatier dans leur ouvrage paru en 2016. Ils résumaient ainsi le besoin énergétique quotidien de Néandertal, tel qu’il est calculé par les spécialistes, équivalent à 22 steaks de 200 grammes – avec un besoin d’environ 3 000 à 5 000 kcal par jour pour les femmes et de 4 000 à 7 000 kcal pour les hommes. Ce véritable régime de marathonien est étroitement lié à une masse musculaire importante, une alimentation très carnée, d’intenses activités physiques et une exposition aux basses températures. Si cette estimation, théorique, doit sans doute être pondérée, il n’en reste pas moins que notre cousin, « le plus grand chasseur de tous les temps » selon Marylène Patou-Mathis, aurait eu un comportement comparable à celui du loup, à l’affût de gros gibier pour calmer sa faim proverbiale. Aurochs, cheval, renne, bouquetin mammouth, rhinocéros figuraient à son menu. Il lui arrivait même de tuer des ours des cavernes, sans doute aussi pour leur fourrure.
Diversité alimentaire
Les progrès de l’archéologie et les nouvelles découvertes, notamment l’analyse des plaques dentaires, dessinent cependant un autre Néandertal, moins carné et plus opportuniste, qui consommait des tortues, du poisson (comme sur le site de Payre, en Ardèche), des œufs, des grenouilles, du phoque ou du dauphin échoués sur la plage, des coquillages, ou encore des lapins en grande quantité (comme sur le site de Pié Lombard, dans les Alpes-Maritimes), mais également des végétaux, parfois cuits. La présence d’amidon sur les tranches des outils retrouvés dans la grotte de Payre indique qu’ils ont servi à découper (et/ou à cueillir ?) des plantes.
Une molaire à la loupe
L’analyse d’une molaire d’un Néandertalien du site de Gabasa, en Espagne, vient une nouvelle fois rebattre les cartes. Une équipe de recherches a eu en effet l’idée d’analyser les rapports isotopiques du zinc contenu dans l’émail de la dent et résistant à toute forme de dégradation. Plus les proportions des isotopes du zinc sont faibles dans les ossements, plus leur propriétaire consommait de la viande. Il s’avère donc que la personne à qui appartenait cette molaire était carnivore, qu’elle ne buvait pas le sang de ses proies et qu’elle mangeait également de la moelle. La messe semble donc dite : Néandertal était un gros mangeur de viande. Faut-il pour autant en rester là ? Nous faisons face à un vieux débat, teinté d’idéologie. Faire de Néandertal un carnivore exclusif, comme le tigre, le renverrait à son image de bête féroce, venue tout droit du XIXe siècle. Mais même le loup mange des baies et des racines… Et comme chacun le sait, les comportements alimentaires sont extrêmement variables d’un individu à l’autre. Certains sont plus attirés par un bon steak, d’autres par davantage de verdure. Vouloir généraliser le comportement des Néandertaliens à partir d’un seul de ses représentants, c’est les confondre avec des animaux et nier leurs spécificités culturelles. De beaux débats encore en perspective !
Jacques Daniel