Site emblématique de l’archéologie classique en Grèce, intensivement exploré depuis plus d’un siècle par l’École française d’Athènes, Delphes réserve encore des surprises ! Des fouilles récentes sur ses fortifications antiques en changent le plan et l’histoire, tandis qu’un sanctuaire d’époque classique et un quartier d’habitation de l’Antiquité tardive inconnus jusqu’à présent viennent de sortir de terre.
Dans l’Antiquité, Delphes est réputée avoir eu, comme Délos, « Apollon pour rempart ». De fait, plusieurs récits antiques nous indiquent que le dieu « s’occupe lui-même de ses affaires » et qu’il n’hésite pas à intervenir, par des apparitions et des miracles, quand son sanctuaire est menacé, comme c’est le cas par les Perses en 480 avant notre ère ou par les Celtes en 279 avant notre ère.
Une nouvelle approche
L’efficacité de cette croyance antique a longtemps été prise pour argent comptant par les savants modernes qui ont considéré que la question de la défense pratique du site ne se posait pas. Ainsi, alors même que les voyageurs du début du XIXe siècle avaient décrit des ruines de remparts manifestement antiques aux abords de Delphes, ceux-ci n’ont été explorés ni par la « Grande fouille » (1892-1903), ni par les principales opérations qui se sont succédé depuis. Il fallut attendre près d’un siècle pour que l’un des grands spécialistes de Delphes, Pierre Amandry, réalise, entre 1979 et 1981, la première étude détaillée des vestiges alors visibles. Créée en 2013 sous l’égide de l’École française d’Athènes, la mission d’exploration des fortifications de Delphes a reçu depuis le soutien de la commission des fouilles du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Elle bénéficie également cette année du mécénat de la fondation Arpamed pour l’étude et la mise en valeur des vestiges découverts. Les principales opérations de fouille du programme se sont déroulées en 2017, 2018 et 2021 sur la colline de Koumblas, au-dessus du stade de Delphes, à l’ouest, et, à l’autre extrémité du site, à l’est, au-dessus du gymnase antique. Celles-ci ont bouleversé ce que l’on croyait acquis, non seulement sur l’histoire des dispositifs techniques de la défense de Delphes dans l’Antiquité, mais aussi sur l’histoire de la ville et du tissu urbain. En effet, même si l’on savait que l’Antiquité tardive était une époque faste d’un point de vue urbanistique pour Delphes, la découverte d’un nouveau quartier d’habitation, ainsi que de plusieurs centaines de mètres du rempart, nous montre que la ville avait largement débordé de son site initial, bien au-delà de ce que l’on avait supposé jusqu’à présent.
Un sanctuaire antique inconnu
Dans ce qui sera par la suite le secteur des fortifications Ouest de Delphes, les fouilles des dernières années ont permis la mise au jour de vestiges liés à un sanctuaire des VIe et Ve siècles avant notre ère. Ont été ainsi découverts de nombreux fragments de vaisselle de luxe en bronze et en céramique d’importation de la fin du VIe siècle, et les fragments d’un édifice dorique du Ve siècle démantelé à une date indéterminée (fragments d’élévation en calcaire, terres cuites architecturales…). La présence d’un lieu de culte sur ce sommet n’avait jusqu’à présent jamais été signalée. Il n’est pas impossible qu’il faille identifier ces vestiges à ceux d’un des sanctuaires mentionnés par Hérodote, celui de la nymphe Thyia.
Les premières fortifications du IVe siècle avant notre ère
En 356 avant notre ère, un peuple de Grèce centrale, les Phocidiens, s’empare de Delphes. Selon l’historien Diodore de Sicile, qui écrit sous l’empereur Auguste, trois siècles plus tard, c’est alors que le stratège fédéral des Phocidiens, Philomélos, décide d’asseoir sa domination sur le grand sanctuaire qu’est Delphes en recrutant de très nombreux mercenaires pour l’armée d’une part, et en entourant Delphes d’un rempart de l’autre. Les maigres vestiges d’un mur en appareil trapézoïdal avaient déjà été rapprochés de cet épisode, même si certains, doutant du témoignage aussi tardif de Diodore, s’étaient interrogés sur la possibilité de dater ce mur de fortification du IIIe siècle avant notre ère, à l’époque de la domination étolienne.
Écriture d’une histoire différente
Par ailleurs, la forme rectangulaire des vestiges connus au plus haut de l’éperon rocheux qui domine le stade de Delphes pouvait laisser croire à l’existence d’une grande citadelle. Les nouvelles fouilles ont permis, en mettant au jour le négatif du mur creusé dans le rocher sous-jacent, d’exclure certaines de ces hypothèses et d’écrire une histoire différente. Tout d’abord, les vestiges ne sont pas ceux d’une « grande » citadelle isolée, mais d’un petit réduit défensif implanté sur une portion du mur d’enceinte du site de Delphes. Le plan restitué est singulièrement différent et vient justifier le témoignage de Diodore, qui puisait donc à de bonnes sources : Delphes était bien entourée d’une enceinte. Ensuite, cette fortification n’a sans doute pas survécu à la domination phocidienne de Delphes, qu’elle n’incarnait que trop. En effet, elle n’a pas été seulement abandonnée, mais bien volontairement démantelée jusqu’aux fondations. La découverte d’une couche de démolition du troisième quart du IVe siècle avant notre ère ainsi que l’absence de tout témoignage matériel d’occupation pendant plus d’un siècle abondent en ce sens. Ce secteur périphérique de Delphes semble rester longtemps à l’abandon et retrouve sans doute sa fonction de zone de carrière qui contribue aussi à l’oblitération des vestiges.
Nicolas Kyriakidis, maître de conférences à l’université Paris‐VIII, ancien membre de l’EFA, Platon Pétridis, professeur à l’université nationale et capodistrienne d’Athènes, ancien membre de l’EFA, et Stéphanie Zugmeyer, architecte, IRAA CNRS – Aix‐Marseille Université. Avec la collaboration de : Romaric Bardet, Nikos Beteinis, Lionel Fadin, Éléonore Favier, Sara Ferronato, Audric Loulelis, Thierry Lucas, Yann Mannon, Anne‐Sophie Martz, Valeria Meirano, Karine Rivière, Theophania Tsempera et Alexis Varraz
Dossier à retrouver dans :
Archéologia n° 625 (novembre 2023)
Saint-Denis révélée par l’archéologie
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