Les tiroirs des musées regorgent de petits objets dont la fonction n’est pas toujours clairement définie. Une hypothèse audacieuse propose d’identifier certains d’entre eux comme des « boucles » en bois de renne fixées aux propulseurs, afin d’améliorer leur prise en main.
Première machine de l’Humanité, le propulseur est une arme de jet destinée à allonger la main, augmentant ainsi la distance du lancer (jusqu’à plus de 25 mètres), sa vitesse (50 à 75 mètres par seconde) et sa puissance d’impact et de pénétration. Mais quiconque s’est amusé à essayer de lancer une sagaie au propulseur s’est vite rendu compte que son maniement nécessite une certaine habileté. En particulier, comment et où positionner sa main pour une efficacité maximale ? C’est à quoi ont pu servir de curieux anneaux ouverts en forme d’oméga, façonnés en bois de renne, découverts sur plusieurs sites de la fin du Paléolithique.
Expérimentations convaincantes
Des reconstitutions expérimentales à l’aide de répliques ainsi que des observations ethnographiques suggèrent qu’il pourrait s’agir d’anneaux fixés sur le manche d’un propulseur par des ligatures, dans lesquels le chasseur pouvait passer un doigt et s’assurer d’une meilleure stabilité pour le lancer. Spécialiste mondial du propulseur, Pierre Cattelain trouve l’hypothèse avancée par les auteurs de cette étude « très séduisante et très convaincante ». Lui-même en avait eu autrefois l’intuition ; il utilise d’ailleurs des boucles de doigts en cuir pour ses expérimentations. Il a aussi pu prouver que « presque partout dans le monde, que ce soit en Amérique du Nord, centrale ou du Sud ou en Australie, le propulseur est tenu entre l’index et le majeur, ou entre le pouce et le majeur, l’index étant placé dans un trou à l’arrière du propulseur, comme dans le monde arctique. Il est très rare que le propulseur soit tenu entre le pouce et l’index. C’est normal car l’amplitude du geste est meilleure dans le premier cas, lorsque le propulseur est tenu entre l’index et le majeur ou entre le pouce et le majeur. Le bras de levier est alors beaucoup plus efficace ».
Une trentaine d’hypothèses
Jean-Marc Pétillon, spécialiste des pointes de projectiles, nuance cependant cette attribution : « cette hypothèse ne peut pas être considérée comme démontrée. Il y manque pour cela, au minimum, une vraie étude tracéologique des objets archéologiques eux-mêmes. Dans l’état actuel des choses, cet article ajoute une hypothèse fonctionnelle supplémentaire pour ces objets énigmatiques, intéressante et pas impossible, mais non prouvée ». Quand on sait qu’une trentaine d’hypothèses sont proposées pour l’utilisation des fameux bâtons percés en bois de renne, nous sommes sans doute encore loin d’un consensus scientifique. Du travail pour les nouvelles générations de préhistoriens !
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
Garnett J., Sellet F., 2023, « Exploring the Possible Function of Paleolithic Open Rings as Spearthrower Finger Loops », Journal of Paleolithic Archaeology, 6:9. Doi : 10.1007/s41982-023-00136-0