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Rencontre avec Jean-Jacques Hublin : « Nous aurons toujours besoin de fossiles »

Jean-Jacques Hublin et Svante Pääbo lors de la remise du Prix International de la Fondation Fyssen en 2021. © Fondation Fyssen
Jean-Jacques Hublin et Svante Pääbo lors de la remise du Prix International de la Fondation Fyssen en 2021. © Fondation Fyssen

Le 3 octobre 2022, le Suédois Svante Pääbo a reçu le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur la paléogénétique, dont le séquençage du génome de Néandertal. C’est le deuxième prix Nobel en rapport avec l’archéologie, après celui décerné à Willard Frank Libby en 1960 pour ses travaux portant sur la datation au radiocarbone. Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de « Paléoanthropologie », Jean-Jacques Hublin nous livre les implications d’une telle distinction dans les études des populations préhistoriques.

Propos recueillis par Romain Pigeaud.

Ce prix Nobel va-t-il changer notre manière d’appréhender la Préhistoire ?

Ce prix, qui n’est pas une surprise totale tant il était attendu depuis de nombreuses années, est amplement mérité. Il sert incontestablement la cause de la paléoanthropologie : la paléogénétique a complètement révolutionné notre façon de regarder l’évolution humaine. Elle nous a apporté des informations auxquelles nous n’avions jamais pensé avoir accès, comme pour ce groupe de treize Néandertaliens de l’Altaï, dont les études ont montré que les hommes sont apparentés entre eux et que les femmes proviennent de l’extérieur du cercle familial. Si ce genre de stratégie de reproduction est connu par ailleurs, on pensait auparavant ne jamais avoir accès à ce type d’information sur des fossiles.

A-t-on encore aujourd’hui besoin de trouver des fossiles, alors que l’on peut trouver de l’ADN même dans les sédiments ?

À l’évidence, nous aurons toujours besoin de fossiles ! C’est à partir d’eux que l’on peut obtenir de l’ADN de bonne qualité, contrairement à celui extrait des sédiments. Il subsiste par ailleurs des contradictions entre les informations provenant des gènes et l’examen des fossiles. Par exemple, la paléogénétique affirmait autrefois que la divergence entre nos ancêtres et ceux des Néandertaliens ne pouvait être plus ancienne que 350 000 ans. Pour les paléoanthropologues dont je fais partie, ce n’était pas possible, car nous connaissons des fossiles néandertaliens plus anciens. Or, nous avions raison ! Les paléogénéticiens s’étaient fondés sur un taux erroné de mutation chez l’Homme. Mais il y a beaucoup moins de mutations que ce que l’on croyait, ce qui nécessite davantage de générations pour voir apparaître un changement : le calendrier moléculaire a donc été reculé dans le temps. Par ailleurs, nous ne disposons d’ADN fossile que dans les régions tempérées ou froides, car il se dégrade rapidement dans les zones chaudes. Or, la partie la plus importante de notre évolution s’est passée en Afrique : la paléogénétique ne nous est donc là d’aucun secours. La génétique des populations actuelles peut nous informer sur leur évolution récente. Pour les périodes anciennes, le salut viendra peut-être en partie d’autres méthodes, fondées sur les protéines, mais surtout de la découverte de nouveaux fossiles.

Quel est l’avenir de la paléogénétique ?

Lorsque j’étais jeune chercheur, dans les années 1990, cette discipline était encore perçue avec un certain scepticisme. Il a fallu mettre au point de nouvelles techniques pour extraire et séquencer de l’ADN ancien, ainsi que des machines pour le faire avec une grande vitesse. Celles-ci se sont perfectionnées rapidement, ce qui a permis de réduire considérablement les coûts : le séquençage du génome néandertalien n’a coûté « qu »’entre 3 et 4 millions d’euros ; aujourd’hui, on peut obtenir des génomes fossiles très complets pour un millième de cette somme. Tout ceci est dû au croisement d’idées innovantes (la recherche d’ADN ancien) et de progrès techniques (des séquenceurs performants), un peu comme quand Galilée eut l’idée de regarder le ciel avec des lunettes conçues au départ pour un autre usage.

Ce prix Nobel est affilié à la médecine. La découverte de gènes néandertaliens dans l’ADN de certains Homo sapiens a-t-elle des implications médicales ?

Cela pourrait l’être, comme le soulignent plusieurs exemples, notamment celui de populations d’Asie porteuses de certains fragments d’ADN néandertaliens qui les rendraient davantage vulnérables à la Covid-19. Mais tout ceci reste anecdotique. Selon moi, l’apport principal de ces études concerne notre propre génome, et en particulier les parties dépourvues d’ADN néandertalien. Ces régions en ont donc été purgées par la sélection naturelle, car l’avantage était plus grand de conserver une version sapiens. Sur les 3,5 milliards de paires de bases de notre génome, seulement 20 000 gènes (soit 1,5 %) codent pour des protéines. Parmi ces gènes figure une petite liste avec des variants communs à tous les humains actuels, ce qui suggère que ces variants ont été soumis à une forte sélection positive. Qu’apportent-ils à notre génome ? Des études sont en cours sur des souris transgéniques ou des organoïdes (des sortes de mini-organes). Deux gènes récemment étudiés ont révélé qu’ils influençaient le nombre de cellules contribuant au cortex préfrontal, ainsi que le contrôle de la qualité des divisions cellulaires, ce qui diminue le risque d’erreurs dans la réplication des ADN. Nous commençons à dérouler un fil qui permettra de comprendre le fonctionnement du génome d’Homo sapiens.

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