Sur une île andalouse, il y 6 200 ans, des agriculteurs et bergers néolithiques ont consommé des fruits de mer, notamment en hiver. Preuve déjà d’une exploitation planifiée des ressources naturelles.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer », déclamait Baudelaire. Les derniers chasseurs-cueilleurs du Mésolithique de la façade atlantique dégustaient les coquillages et les crabes qu’ils ramassaient dans l’océan ou sur les plages, apprivoisant ainsi la mer, où les Magdaléniens avaient déjà pris l’habitude de rechercher les carcasses de cétacés échouées sur le sable.
Le cas de l’île de San Fernando
Les populations d’agropasteurs néolithiques qui leur ont succédé ont perpétué cette pratique. C’est notamment le cas des habitants de l’île de San Fernando, à Cadix (Andalousie). Mais cette consommation fut-elle occasionnelle ou organisée ? La réponse à cette question se trouve dans les coquilles. La proportion respective des isotopes de l’oxygène (16O et 18O) que l’on y décèle renseigne en effet sur les conditions climatiques lors de leur croissance, et surtout lors de leur mort. Lorsque le climat refroidit, l’16O, plus léger, est plus facilement monopolisable sous forme de glace. L’eau des mers va donc s’appauvrir en cet isotope, et le rapport 16O /18O diminuer. Or il se trouve que sur le site de Campo de Hockey, à seulement 150 mètres de l’ancienne côte, se trouve une nécropole d’époque néolithique.
Améliorer l’ordinaire
Délaissant les cinquante-trois tombes individuelles ou doubles, pauvres en matériel funéraire, les archéologues se sont intéressés aux ensembles proto-mégalithiques (Campo de Hockey 2), où vingt-huit structures archéologiques (dix-sept foyers, deux amas de coquillages, quatre tombes et cinq structures en pierre) ont été mises au jour en 2018. Dans les foyers et les dépotoirs ainsi que dans le sédiment recouvrant les corps, ils ont ramassé quantité de restes de poissons (341 vestiges) et surtout de mollusques (12 579 fragments de coquilles correspondant à un minimum de 2 885 spécimens consommés), et ceux d’une espèce en particulier : Phorcus lineatus, un escargot de mer qui semble avoir été particulièrement apprécié (832 estimés, soit 28,83 % de l’assemblage). L’analyse de 49 coquillages provenant de six niveaux stratigraphiques différents indique que, durant 300 ans, les insulaires ont collecté des coquillages toute l’année, mais davantage pendant les mois les plus froids de l’automne, de l’hiver et du début du printemps, c’est-à-dire de novembre à avril. Ce qui semble indiquer que l’île était habitée la plus grande partie de l’année. Bien sûr, les Néolithiques n’étaient pas insensibles au froid et s’ils se gelaient les mains en ramassant les coquillages durant les périodes les moins propices à la baignade, c’est parce que celles-ci correspondent à la période annuelle de rentabilité maximale de cette ressource alimentaire, où la chair des mollusques est la plus abondante et la plus goûteuse. Comme quoi, même si l’apport en viande et en céréales semblait acquis avec la domestication des plantes et des animaux, améliorer l’ordinaire est une constante dans les comportements humains !
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
DUPONT C., GRUET Y., 2022, « Why Mesolithic Populations Started Eating Crabs on the European Atlantic Façade Only Over the Past 15 Years? », Open Archaeology, 8 (1). https://www.degruyter.com/document/ doi/10.1515/opar-2022-0255/html GARCÍA-ESCÁRZAG A. et al., 2024, « Marine resource exploitation and human settlement patterns during the Neolithic in SW Europe: stable oxygen isotope analyses (δ18O) on Phorcus lineatus (da Costa, 1778) from Campo de Hockey (San Fernando, Cádiz, Spain) », Archaeol Anthropol Sci, 16, 38. Doi : 10.1007/s12520-024-01939-0
PÉTILLON J.-M., 2019, « L’exploitation des cétacés au Paléolithique récent », Les Nouvelles de l’Archéologie, 156, p. 12-14.
Doi : 10.4000/nda.6221