
Dans le sanctuaire d’Artémis à Amarynthos, exploré depuis plus de dix ans par une équipe d’archéologues gréco-suisses, les scientifiques ont découvert un extraordinaire dépôt d’offrandes, datant du VIe siècle avant notre ère. Les objets, préservés sous le sol d’un temple, représentent un condensé des gestes rituels accomplis en l’honneur de la déesse.
Sur l’île d’Eubée, Artémis Amarysia, l’une des principales divinités de la cité d’Érétrie, a son sanctuaire à une dizaine de kilomètres de la ville (voir aussi Archéologia n° 603, p. 14-15). Une voie sacrée y conduit, empruntée chaque année par une imposante procession, à l’occasion de la grande fête des Artémisia. Installé en bord de mer, au pied d’une colline, le sanctuaire se développe à partir du VIIIe siècle avant notre ère. À la fin du IVe siècle, il se présente comme une vaste aire sacrée bordée de portiques et de petits édicules ; au centre se dressent le temple et l’autel.
Temples archaïques : une succession complexe
L’exploration systématique de l’Artémision, initiée il y a dix ans, a mis en lumière le plan général du sanctuaire ainsi que d’importants vestiges sur la colline, occupée dès l’âge du Bronze ancien. Depuis 2020, les fouilles se sont pour partie concentrées dans le secteur du temple, révélant la présence de plusieurs constructions successives. Les plus anciennes, encore incomplètement dégagées, remontent au VIIIe siècle avant notre ère. Le premier temple dont on peut reconnaître le plan est probablement édifié au VIIe siècle. Il s’ouvre sur un autel en fer à cheval, une forme peu usuelle en Grèce. Après la destruction du bâtiment par un incendie, au cours du VIe siècle, le lieu accueille une construction provisoire, faite de murs en briques en terre crue posés à même le sol. Les murs entourent l’autel et redessinent l’espace à l’emplacement du temple détruit. Ainsi, les cérémonies peuvent se dérouler dans un cadre bien structuré, même en l’absence d’un édifice monumental. Un nouveau temple est érigé à la fin du VIe siècle avant notre ère.
Le dépôt d’offrandes
C’est durant la construction de ce nouveau monument qu’un riche ensemble d’offrandes est soigneusement scellé sous une épaisse couche de remblai. Les objets sont-ils spécialement réunis et déposés pour l’occasion, en guise de dépôt de fondation pour le temple, ou se trouvaient-ils déjà sur place avant le début des travaux ? La suite des recherches devrait permettre de préciser ce point. Fouillé entre 2020 et 2022, le dépôt d’offrandes se compose de près de 700 pièces. Par leur diversité, les objets reflètent les multiples champs d’action d’Artémis Amarysia et les groupes de personnes impliqués dans les cérémonies, dans la seconde moitié du VIe siècle. On compte notamment de nombreux éléments de parures, peut-être offerts par des jeunes gens à l’occasion d’un rite de passage, des figurines en terre cuite représentant des femmes à des moments clés de leur existence, comme le mariage, des armes déposées en trophée, etc. À cette liste s’ajoutent encore plusieurs sortes d’ustensiles cultuels : récipients en bronze (phiales) pour faires des libations, vases rituels en céramique, haches et couteaux ayant pu servir à sacrifier des animaux. Plusieurs trouvailles de l’été 2022 sortent du lot, tout particulièrement une statuette en pierre représentant une figure féminine portant un jeune cervidé dans les bras.

La porteuse de faon
Haute d’une trentaine de centimètres, la statuette est taillée dans un calcaire tendre. Elle appartient à ce que l’on nomme la petite plastique chypro-ionienne, une production bien connue à Chypre et dont de nombreux exemplaires ont été découverts dans des sanctuaires grecs, notamment dans l’Héraion de Samos et dans le sanctuaire d’Athéna à Lindos, sur l’île de Rhodes, de même qu’à Naukratis, une implantation grecque en Égypte. La statuette d’Amarynthos se distingue non seulement par la qualité de sa réalisation, mais aussi par sa composition, qui insiste sur la proximité entre la personne et l’animal. Ce dernier, fermement tenu par les quatre pattes, allonge son cou et pose délicatement sa tête sur l’épaule de la femme, comme en un geste d’abandon. Tout indique qu’il s’agit d’un faon. Une telle présence n’est pas surprenante dans un sanctuaire consacré à Artémis, car l’animal est fréquemment associé à la déesse chasseresse. Mais qui cette statuette représente-t-elle et pourquoi a-t-elle été offerte à Amarynthos ? Ce pourrait être Artémis elle-même, montrée dans un rôle de protectrice du monde animal. Cette interprétation n’est toutefois pas la plus plausible. En effet, il manque à la statuette un attribut qui désignerait sans conteste la déesse. Surtout, les représentations de divinités grecques sont rares dans la petite plastique chypro-ionienne de la période archaïque. On y rencontre plus fréquemment des personnages, masculins ou féminins, portant diverses offrandes, dont des animaux. Ainsi, la statuette trouvée à Amarynthos montre-t-elle sans doute une jeune femme faisant un présent à la divinité. L’image évoque la jeunesse de la cité, sur laquelle on demandait la protection d’Artémis.

L’équipe de fouille d’Amarynthos, ESAG-EAE