Le secteur, situé au nord-ouest du cœur historique de Narbonne, était déjà identifié, grâce à deux fouilles de 2009 et 2011, comme un quartier de stockage et de commerce des marchandises de l’antique Narbo Martius. En se lançant en août 2023 dans la fouille d’une parcelle de 3 000 m2 en amont de la construction d’une vaste résidence senior, les archéologues de l’Inrap s’attendaient donc à trouver principalement des vestiges d’entrepôts. Or ils ont eu la surprise de découvrir aussi un tronçon de l’enceinte du Haut-Empire, dont l’existence était jusqu’ici une simple hypothèse.
C’est une parcelle tout en longueur qui part du quai d’Alsace en bordure du canal de la Robine et s’étend vers l’est sur 150 mètres, enserrée entre des immeubles modernes et de vieilles bâtisses. « L’emprise de la fouille ne correspond évidemment pas au parcellaire antique, explique Grégory Vacassy, responsable d’opérations. Nous n’avons donc pas les bâtiments dans leur intégralité. Mais nous pouvons y observer les différents îlots et le rythme des rues qui traversent la parcelle. La fouille est une sorte de coupe au sein de ce quartier établi à partir de 50 de notre ère et en activité jusqu’aux IVe-Ve siècles, avec une phase d’abandon au IIIe siècle. »
Les trois grands entrepôts
Ce sont trois entrepôts qui ont été dégagés successivement d’est en ouest, au cours de fouilles menées en deux moitiés pour pouvoir stocker la terre déblayée. « La régularité du plan des bâtiments, avec des pièces de grande taille, ne laisse guère de doute sur leur fonction, poursuit l’archéologue. Le premier, à l’est, présente également des vides sanitaires ménagés sous le sol pour son assainissement, dont l’un composé d’un lit d’amphores recyclées, couchées sur le côté. » Ce même entrepôt était surmonté d’un étage décoré d’enduits peints et de mosaïques au sol, comme en attestent des fragments retrouvés, effondrés à la suite d’un incendie.
Le rempart du Haut-Empire
Entre les entrepôts, trois rues empierrées et une ruelle, dotées de canalisations assurant l’évacuation des eaux pluviales et usées, viennent scander la parcelle. À l’extrémité ouest, le dernier bâtiment ne donne pas sur une voie, mais vient s’appuyer sur une construction très massive. « L’interprétation de ce mur aurait pu être difficile, confie Grégory Vacassy, mais nous avons eu la chance de trouver, dans son prolongement, la base d’une tour. Il s’agit du rempart de la cité, construit sans doute dans les dernières décennies du Ier siècle avant notre ère. Il montre que Narbonne n’était pas une ville ouverte, comme certains l’affirmaient faute de preuves documentaires ou archéologiques. » Si le site n’a livré aucun dépôt organique à même d’indiquer la nature des marchandises stockées ici, cet entrepôt accolé à l’enceinte suggère un usage public : seules les autorités ont pu contrevenir à la règle d’urbanisme obligeant à laisser une circulation le long du rempart.
Préserver l’enceinte et les enduits peints
D’ici deux semaines, les archéologues auront replié leur matériel et cèderont la place aux travaux de construction. Événement rare, lié à l’importance de la découverte, les éléments du rempart seront préservés sous la résidence – les aménageurs s’y sont engagés – même s’ils ne pourront pas être laissés visibles dans cette zone soumise aux remontées de la nappe phréatique. Témoignant d’un bâtiment des IIe-IIIe siècles postérieur aux entrepôts, des enduits peints imitant le marbre, préservés sur 80 centimètres de haut, intègreront quant à eux les collections du musée Narbo Via.
Alice Tillier-Chevallier