![Page extraite de la sourate de la Vache découverte à Edfou (détail). © Staats- und Universitätsbibliothek Hamburg](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/1-sourate-de-la-Vache-edited.jpg)
À la fin du VIIe ou au début du VIIIe siècle, la sourate de la Vache (la deuxième du Coran) a circulé sous la forme d’un livret autonome dans le sud de l’Égypte. C’est ce qu’un papyrologue et un historien ont établi en déchiffrant un manuscrit provenant d’Edfou. Cet écrit est le plus long extrait du Coran jamais retrouvé sur papyrus.
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Le texte dormait dans les réserves de la Staats- und Universitätsbibliothek d’Hambourg parmi d’autres papyrus mis au jour lors de fouilles à Edfou au début du XXe siècle. Il a tout de suite suscité l’intérêt de Naïm Vanthieghem, surpris que ces 7 bi-folios (28 pages) n’aient jamais été édités : « Le document est abîmé, il manque la partie externe et la première page, explique le papyrologue, chargé de recherches au CNRS (Institut de recherche et d’histoire des textes). Mais le vocabulaire employé dans les passages bien conservés m’a tout de suite mis sur la piste d’un texte coranique. » La mise en page, avec ses séparateurs – traits obliques entre les versets, ronds et pointillés entre les dizaines de versets et bandeau final de volutes – était un second indice fort : « Cette présentation traditionnelle du Coran se met en place vers 700-720, commente Mathieu Tillier, professeur d’histoire de l’Islam médiéval à Sorbonne Université. Mais l’ajout de motifs ornementaux a pu se faire après la rédaction du texte lui-même. »
La preuve d’une circulation autonome
En attendant le recours au carbone 14, les chercheurs s’appuient sur un faisceau d’indices internes pour proposer une datation qui pourrait remonter à la fin du VIIe siècle : l’écriture, de style archaïque, penchée et élancée, la forme de certaines lettres, ou encore l’orthographe de plusieurs mots sont caractéristiques des plus anciens manuscrits du Coran connus. Les derniers mots du cahier, non coraniques et écrits avec une encre différente, montrent quant à eux que le texte principal, identifié comme la sourate de la Vache, ne faisait pas partie d’un codex complet du Coran. « Ce papyrus atteste donc une circulation autonome évoquée par les sources écrites, analyse l’historien. Vers 750, le théologien Jean Damascène affirme que les musulmans ont plusieurs écrits sacrés : le Coran, le Livre de la Chamelle de Dieu, le Livre de la Femme et le Livre de la Vache. »
Vademecum pour néo-musulmans ?
Comment interpréter la copie de cette sourate sur un matériau aussi bon marché et aussi commun que le papyrus, alors que le Coran est habituellement consigné sur parchemin ? Pour les deux chercheurs, l’explication pourrait résider dans la dimension juridique du texte : la sourate de la Vache rassemble les préceptes fondamentaux de l’islam et ses principaux interdits. Le manuscrit aurait donc pu constituer une sorte de vademecum à destination de soldats arabes en garnison dans le sud de l’Égypte – conquise quelques décennies plus tôt à partir de 639 – ou de convertis. Fait remarquable, le passage concernant l’interdit du vin est absent du manuscrit d’Edfou. Ce que Naïm Vanthieghem remet en perspective : « Au début du VIIIe siècle, la question de la consommation des boissons fermentées fait l’objet d’intenses débats. Dans les papyrus égyptiens, on trouve notamment une commande de vin faite, par un gouverneur, vers 710-715, pour ses agents chrétiens et musulmans. » L’absence de cet interdit dans le manuscrit, de même que les mots ou parties de versets repérés comme manquants, viennent témoigner d’une période où le canon coranique n’était pas encore établi.
![Page extraite de la sourate de la Vache découverte à Edfou. © Staats- und Universitätsbibliothek Hamburg](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/1-sourate-de-la-Vache.jpg)
Alice Tillier-Chevallier
Pour aller plus loin :
TILLIER M. & VANTHIEGHEM N., 2023, The Book of the Cow, An Early Qur’ānic Codex on Papyrus, Leyde, Brill.