Le magazine de l’actualité de l’archéologie en france et dans le monde.

Toulouse fait parler les défunts de Notre-Dame

Nettoyage des cercueils avant ouverture. © Denis Gliksman, Inrap
Nettoyage des cercueils avant ouverture. © Denis Gliksman, Inrap

En 2015, un premier partenariat scientifique avait été noué entre l’Inrap, le CHU de Toulouse et l’université Toulouse III-Paul Sabatier pour étudier la dépouille momifiée de Louise de Quengo, découverte dans le couvent des Jacobins de Rennes. Cette fructueuse collaboration a été renouvelée pour l’examen des deux sarcophages anthropomorphes mis au jour à Notre-Dame de Paris. Premiers résultats de cette fouille en laboratoire.

Archéologues, anthropologues, carpologues (spécialistes des graines), palynologues (pour les pollens), médecins légistes, dentistes… : c’est toute une équipe pluridisciplinaire qui, pendant une semaine à la fin novembre, au sein de l’Institut médico-légal de Toulouse, s’est affairée sans relâche autour des deux sarcophages en plomb découverts à la croisée du transept de Notre-Dame au printemps 2022. Transférés depuis Paris pour permettre des conditions de fouille optimales, les deux cercueils ont été soigneusement nettoyés au pinceau et à l’eau, ouverts – l’un à la cisaille électrique, l’autre, plus épais, à la disqueuse – et modélisés en 3D, tout comme leur contenu, grâce à un relevé photogrammétrique complet. Ce sont ensuite plus de 200 prélèvements – os, cheveux, restes végétaux, textiles – qui ont été réalisés, et complétés par toute une série de radiographies et de scanners permis par l’imagerie médicale de pointe du CHU. Utilisée ici pour la première fois, la fluorescence sous ultraviolet a révélé également quelques poils de moustache présents près d’un œil et du tartre dentaire, résultat sans doute de bactéries encore actives au moment du décès.

Prélèvements de cheveux. © Denis Gliksman, Inrap
Prélèvements de cheveux. © Denis Gliksman, Inrap

Un chanoine inhumé en 1710

Il faudra attendre quelques mois avant que l’ensemble des résultats soit rendu par les différents spécialistes, mais les premières analyses permettent d’ores et déjà d’esquisser le portrait des deux individus inhumés. L’identité du premier est connue depuis sa mise au jour, au plus près du chœur, dans l’axe de la nef et du portail central, grâce à deux plaques – l’une en plomb placée sous la dalle funéraire, portant une épitaphe latine, l’autre en bronze, soudée sur le cercueil lui-même et gravée d’une inscription en français – et trois médailles à son effigie. Il s’agit d’Antoine de La Porte, chanoine de Notre-Dame, mort à 83 ans le 24 décembre 1710. Il est connu par d’autres sources, notamment un tableau de Jean Jouvenet conservé au musée du Louvre. Sa longévité au sein de la cathédrale lui avait valu le surnom de « chanoine jubilé ». Il avait, à la fin de sa vie, réalisé une donation de 10 000 livres pour la réfection de la clôture du chœur de Notre-Dame, réfection qui s’était traduite notamment par la suppression du jubé médiéval, dont plusieurs éléments ont été retrouvés scellés dans les murs de son caveau. Les premières analyses du squelette ont permis d’observer un polissage des molaires révélateur d’un brossage des dents et, au niveau des pieds, de métatarses typiques d’une goutte bilatérale.

Fouille d’un des squelettes au CHU de Toulouse. © Denis Gliksman, Inrap
Fouille d’un des squelettes au CHU de Toulouse. © Denis Gliksman, Inrap

Un noble cavalier

Le deuxième individu reste pour le moment un inconnu, du fait de l’absence de toute inscription sur le sarcophage. Seule la pierre tombale qui le surmontait devait porter son nom, mais le cercueil ayant été déplacé, rien ne permet à ce jour de l’identifier. On sait néanmoins qu’il a vécu entre le XIVe et la fin du XVIIe siècle, période des couches archéologiques dans lesquelles il a été découvert – la datation au carbone 14 permettra d’affiner la fenêtre temporelle. L’homme avait, à sa mort, entre 25 et 40 ans, et appartenait à la haute noblesse, comme en attestent trois indices : sa « déformation crânienne toulousaine », liée au port, nourrisson, d’une coiffe – une pratique nobiliaire ; une activité précoce de cavalier, visible dans la forme de son bassin ; enfin, pour préserver sa dépouille, une inhumation dans un cercueil en plomb, doublée d’un embaumement. Cette opération, dont témoignent le crâne scié et les restes végétaux présents, a été réalisée par une main peu experte qui, en exerçant une pression excessive, a fracturé le sternum. La fin de vie de cet inconnu semble avoir été difficile : malade de la tuberculose, il n’avait, un à deux ans avant son décès, déjà presque plus de dents, et c’est une méningite qui lui aurait été fatale.

Détail de restes de fleurs. © Denis Gliksman, Inrap
Détail de restes de fleurs. © Denis Gliksman, Inrap

Une opportunité scientifique inédite

Première fouille de sépulture réalisée à Notre-Dame, l’étude des deux sarcophages constitue une opportunité scientifique inédite pour mieux connaître les pratiques funéraires (montage et scellement des cercueils en plomb, linges mortuaires, techniques d’embaumement). La dépouille d’Antoine de La Porte, confrontée aux informations sur son âge, son sexe et sa situation sociale, permettra également d’étudier le vieillissement dans les sociétés préindustrielles. Quant au « cavalier », les registres d’inhumations de Notre-Dame dont on dispose pour la fin du XVIe et le XVIIe siècles révèleront peut-être son identité. En attendant que les résultats complets soient publiés (premier semestre 2023), les sarcophages doivent revenir à Paris. C’est au ministère de la Culture qu’il appartient, à terme, de statuer sur leur devenir – dans le respect dévolu aux restes humains.

Alice Tillier-Chevallier
Envoyée spéciale à Toulouse

Partager :

Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on email
Email