Le musée d’Artillerie est l’une des deux institutions à l’origine de l’actuel musée de l’Armée, situé au sein de l’Hôtel national des Invalides à Paris. Créé au moment de la Révolution française, il est aujourd’hui tombé dans l’oubli ; mais au XIXe siècle, il faisait partie des grands musées aux côtés de ceux du Louvre ou du Moyen Âge. Découvrez l’histoire de la collection archéologique de cette institution, dont la constitution reflète parfaitement son époque.
En 1792, la « commission de réquisition des armes » nouvellement créée recrute Edme Régnier (1751-1825) comme contrôleur pour vérifier l’armement soustrait par les révolutionnaires en vue d’un éventuel réemploi. Suivant une initiative plutôt personnelle, ce dernier décide de sauvegarder de la destruction les armes ne présentant aucun usage pratique, mais dans lesquelles il décèle un intérêt artistique et historique.
L’entrée de l’archéologie au musée
En effet, certaines proviennent du Garde-Meuble royal, d’autres des saisies des biens des émigrés puis, plus tard, de celles des armées françaises à l’étranger. Régnier devient officiellement conservateur de ce dépôt le 13 mai 1794 (24 floréal An II) qu’il réunit dans l’ancien couvent des Feuillants. Un an plus tard, le 27 juillet 1795 (9 thermidor An III), cet embryon de collection intègre le dépôt central, qui dépend directement du Comité central d’Artillerie créé le 7 mai 1795. Les deux institutions partagent des locaux dans l’ancien couvent des Dominicains-Jacobins de Saint-Thomas d’Aquin, dans le VIIe arrondissement parisien. Le dépôt devient musée le 28 novembre 1798 et prend le nom de musée d’Artillerie en 1806. Dès son origine, cet établissement dépend de la direction de l’artillerie (ministère de la Guerre) et est dirigé par un officier. Lors de sa création, il est alors conçu comme un musée technique, dédié à l’évolution de l’armement et réservé au profit de la direction de l’artillerie et de ses officiers pour leurs travaux. À l’étroit dans le couvent de Saint-Thomas d’Aquin, il est transféré à l’Hôtel des Invalides en 1871, puis réuni au sein du musée historique de l’Armée en 1905 pour fonder le musée de l’Armée.
Deux conservateurs décisifs
C’est en 1841 qu’apparaît pour la première fois le terme « archéologie » au musée d’Artillerie. Le général Doguereau, président du Comité central d’Artillerie, donne, entre autres, pour mission à Félicien Coignart de Saulcy (1807-1880), lors de sa nomination, d’acquérir une connaissance dans la technologie des engins, des armes anciennes et modernes en incluant les militaria archéologiques. En réalité, seuls deux conservateurs ont eu un rôle constitutif de la collection archéologique : Félicien Coignart de Saulcy donc et Octave Penguilly L’Haridon (1811-1870). Ces deux officiers, diplômés de l’École Polytechnique et de l’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz, ont la particularité de mener une autre carrière en plus de celle militaire. Chef de file de l’archéologie biblique et numismate très renommé, de Saulcy sera académicien, sénateur et président de la Commission de topographie des Gaules. Quant à Penguilly L’Haridon, c’est un artiste peintre apprécié de la famille impériale et de ses contemporains. En parallèle de ses fonctions au musée, il est nommé conservateur de la collection d’armes et d’armures de Napoléon III (exposée à Pierrefonds) dont il publie le catalogue en 1864. Tous les deux appartiennent au cercle d’officiers d’artillerie très proches de l’Empereur qui, par leur expérience, leur savoir-faire et leur curiosité technique, participent au développement de la recherche archéologique nationale. Ils sont aussi membres de la commission consultative pour l’organisation du musée de Saint- Germain-en-Laye à partir de 1865.
La genèse de la collection gréco-italique
Dès sa nomination, de Saulcy ébauche la collection archéologique à partir de nombreux dons de membres de sociétés savantes et académiques dans lesquelles il officie. En quatre ans, il acquiert une quarantaine de haches, épées, fers de flèches « gauloises, antiques et franques », provenant surtout de découvertes (plus ou moins fortuites) de l’est de la France. En 1845, il élargit la collection aux artefacts gréco-italiques. C’est en effet à l’occasion d’un voyage en Méditerranée, qui le mène à Naples, qu’il se procure, auprès de deux antiquaires napolitains, dont Raffaele Barone, une trentaine d’objets en rapport avec l’équipement défensif du guerrier des colonies grecques d’Italie du Sud. Le musée entre alors en possession de six casques qualifiés de grecs, d’un plastron et d’une dossière de cuirasse anatomique, de quatre ceintures en bronze, de deux paires de cnémides, d’une paire de genouillères et de talonnières, ainsi que de quelques armes (masses d’armes, poignards, haches, fers de lance) et pièces de harnachement (essentiellement des éperons). Parmi ces dernières, une resta longtemps mystérieuse : une plaque métallique à laquelle sont reliées des chaînettes de mailles doubles en bronze se terminant par des petites masses de métal en forme de lentilles, décrite, dans le catalogue de de Saulcy, comme un fragment « d’armure de mailles antique ». Achetée en tant qu’élément d’harnachement, elle est assimilée dans un premier temps à un frontal ou têtière pour cheval, puis à un fragment d’armure d’homme. En réalité, il s’agit d’un élément de ceinture féminine du VIIIe siècle avant notre ère que l’on rencontre en Basilicate (Italie).
Christine Duvauchelle
Chargée d’études documentaires principale et chargée des collections archéologiques au Département Ancien Régime du musée de l’Armée
À retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 630 (avril 2024)
Pompéi renaît de ses cendres
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