
Niché au cœur du quartier du Panier à Marseille et logé dans des bâtiments du XVIIe siècle, le superbe Centre de la Vieille Charité propose une exposition aussi belle qu’intellectuellement stimulante. Conçue par la brillante philosophe et philologue Barbara Cassin, membre de l’Académie française, Muriel Garsson, conservatrice au musée d’Archéologie méditerranéenne, et Manuel Moliner, conservateur en chef au musée d’Histoire de Marseille, elle montre comment les hommes, leurs objets, leurs idées et leurs langues n’ont cessé de migrer et de se transformer au fil des siècles et des continents.
Comme nous sommes à Marseille, tout commence avec la mer et les premiers voyages, marins, sont ceux des mythiques Ulysse et Énée. Les oeuvres antiques sont ainsi d’emblée confrontées à un écoboat, embarcation précaire réalisée en bouteilles de plastique recyclées au Cameroun. Ce dialogue fécond entre arts ancien et contemporain, aux propos sociaux et politiques clairement assumés, constitue le fil rouge de l’exposition. Ce superbe et efficace préambule posé dans la chapelle Puget se poursuit dans l’ensemble de l’institution – un investissement jamais vu ici –, dans les galeries d’exposition temporaire bien sûr mais aussi dans le parcours permanent du musée d’Archéologie méditerranéenne, dans celui d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, dans les locaux de l’École des hautes études en sciences sociales, du Centre Norbert Elias et du Centre international de poésie de Marseille.
Questions des origines
De nombreuses thématiques toutes aussi passionnantes les unes que les autres sont extraites des objets exposés et l’on pourrait rester longtemps à les regarder, à s’interroger sur leurs multiples sens. Sans toutes les aborder, retenons par exemple la question de la diffusion puis de la multiplication des objets (tels que les porte-bonheur) et de leur pouvoir mémoriel, celle de la notion du faux et des copies (la tête mixtèque de l’Homme de Rio dont tous les éléments sont authentiques… sauf sa colle ce qui en fait une oeuvre purement contemporaine !) ou celle très actuelle de la réappropriation des formes et des idées (les artistes et créateurs contemporains ne cessent de puiser dans le vocabulaire antique), sans oublier celles des spoliations (quelles qu’elles soient à travers les siècles) et des restitutions, ou encore plus inattendue, celle des objets « à l’arrêt » dont l’existence s’immobilise parce que l’objet rentre dans un musée et cesse d’exister dans sa fonction première.
Fructueuses confrontations
Largement majoritaires, les objets archéologiques cèdent parfois le pas, on le voit, à des œuvres plus récentes dans des confrontations qui, souvent, surprennent mais fonctionnent. Des cartels sonores, de courts films réalisés dans des écoles, dans certains quartiers de Marseille, voire en prison, complètent le parcours. Aujourd’hui, plus que jamais sans doute, les objets continuent leurs voyages à travers le monde. Mais depuis des siècles, ils ne font que refléter les migrations (voulues ou subies) de l’humanité, les échanges d’idées, de cultures, de langues, de musiques et de pratiques culinaires (songeons à toutes ces céramiques…) qui constituent l’identité, diverse et sans cesse enrichie, des peuples des rives de la Méditerranée.
Éléonore Fournié
« Objets migrateurs. Trésors sous influences »
Jusqu’au 16 octobre 2022 au Centre de la Vieille Charité
2 rue de La Charité, 13002 Marseille
Tél. : 04 91 14 58 97
www.vieille-charite-marseille.com
Catalogue, éditions Liénart / Musée d’Archéologie méditerranéenne, 206 p., 30 €.