
En partenariat avec le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), le musée départemental Arles Antique (MDAA) consacre une exposition à la richesse et à la fragilité du patrimoine englouti. Soumis à de multiples menaces, ces vestiges demeurent, malgré une législation de plus en plus coercitive, extrêmement vulnérables, comme nous l’expliquent dans cet entretien croisé les commissaires généraux de l’événement Sabrina Marlier, archéologue maritime au MDAA, et Michel L’Hour, ancien directeur du Drassm et expert auprès de l’Unesco pour le patrimoine culturel subaquatique.
Le titre de l’exposition, « Trésors du fond des mers », réveille des fantasmes plus liés à la fiction qu’à l’archéologie. Est-ce volontaire ?
Sabrina Marlier : Nous avons utilisé exprès le terme de « trésor », ordinairement peu apprécié des archéologues, pour mieux le déconstruire. À peine ce mot est-il prononcé que surgissent dans les esprits des images de coffres regorgeant de bijoux, de pièces d’or, d’œuvres d’art, etc. Le parcours commence donc par s’engouffrer dans cet imaginaire, au gré des fantasmes alimentés par la littérature et le cinéma. Dans une ambiance tamisée, la première section évoque les grands classiques nés autour du mythe du trésor englouti, du roman Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne (1869-1870) au récent film Waydown / Braquage final de Jaume Balagueró (2021), en passant par la bande dessinée comme Les Aventures de Tintin – Le Trésor de Rackham Le Rouge (1943). En regard de ces fictions, nous présentons la réalité : quelques beaux objets sortis des eaux que l’on peut qualifier de « trésors », comme l’Éphèbe, magnifique statue du IIe siècle avant notre ère mise au jour en 1964 dans l’Hérault, à Agde, et seul grand bronze trouvé dans les eaux maritimes françaises. Mais le message est clair : s’il arrive parfois de découvrir des biens précieux sous les mers (or, argent, œuvres d’art, monnaies…), ces découvertes restent rares et sont loin de représenter l’essentiel du patrimoine immergé !

Si les objets précieux sont si rares dans les fonds marins, de quels trésors parle l’exposition ?
S. M. : De trésors culturels ! Leur intérêt n’est pas marchand, mais scientifique : ces biens immergés ne sont pas précieux en raison de leur valeur intrinsèque, mais dans la mesure où ils nous apprennent quelque chose sur le passé de l’Humanité. À cet égard, même des vestiges aussi modestes que des souches d’arbres ou des arêtes de poissons méritent notre attention ! Plus de 3 millions d’entités culturelles reposeraient ainsi sous toutes les mers du globe, selon l’Unesco, dont environ 100 000 rien que dans les eaux territoriales françaises. Il s’agit de grottes préhistoriques, d’épaves antiques, de structures portuaires, de blockhaus, d’avions, de sous-marins… Voilà qui conforte les propos de l’archéologue Salomon Reinach déclarant en 1928 : « La mer est le plus grand musée du monde ».

Quel aperçu de ces « collections » subaquatiques l’exposition donne-t-elle ?
S. M. : Près de 320 objets découverts sur le domaine public maritime français (en métropole exclusivement) sont exposés, complétés par des photographies, vidéos et autres supports multimédias qui nous emmènent aussi en outre-mer. Les plus anciens sont des moulages des empreintes et traces de Néandertaliens, préservées dans le sable de la Manche pendant plus de 80 000 ans, à Rozel ; plus de 2 300 ont été mises au jour, ce qui représente 99 % de ce type de vestiges laissés par notre lointain cousin et connus dans le monde ! Quant aux plus récents, ils remontent aux deux grands conflits mondiaux : cuvette de toilette du vapeur anglais l’Argo, coulé au large de Boulogne en 1916 après avoir heurté une mine, objets du sous-marin allemand U-171 qui repose depuis 1942 au large de Groix…

Michel L’Hour : Entre ces deux époques, les objets sont d’une variété insoupçonnée, que la deuxième section de l’exposition met en valeur. Alors que le patrimoine immergé est souvent réduit aux épaves, l’enjeu est de montrer ici que les objets sortis des eaux sont tout aussi divers que ceux que l’archéologie terrestre met au jour, avec l’avantage de nous parvenir dans un bien meilleur état de conservation.
Marie-Amélie Blin

Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 613 (octobre 2022)
100 ans d’archéologie en Afghanistan
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com
« Trésors du fonds des mers. Un patrimoine archéologique en danger »
Du 22 octobre 2022 au 20 février 2023 au musée départemental Arles Antique
Presqu’île du Cirque-Romain, 13635 Arles
Tél. 04 13 31 51 03
www.arlesantique.fr