
En 1495, le Gribshunden (« le chien griffon ») coula dans la mer Baltique. Navire affrété par le roi Jean Ier de Danemark, il emportait par le fond une riche cargaison de cadeaux diplomatiques dont le contenu, aujourd’hui remonté à la surface, constitue une mine d’informations pour les archéologues.
Autrefois, les épices – poudre de curry, de paprika, de poivre ou de piment – étaient aussi précieuses que l’or. En témoigne la cargaison mise au jour par les plongeurs : safran, gingembre, clous de girofle, grains de poivre et de moutarde, mais aussi framboises, concombres ou amandes, préservés par les eaux froides et le sable de la Baltique. Le roi Jean (« Hans » en danois, également souverain de Norvège) les avait emportés avec lui pour impressionner les membres du conseil suédois, afin qu’ils confirment les accords établis l’année précédente, qui le faisaient aussi roi de Suède et donc souverain unique de la région. Mais le bateau prit feu une nuit, explosa et coula corps et biens, par 11 mètres de fond.
Un festin de roi sous-marin
Aujourd’hui, pour leur plus grand bonheur, les archéologues peuvent étudier, grâce à ces vestiges exceptionnellement bien conservés, la manière dont un souverain organisait son apparat et le genre de richesses qu’affectionnait l’aristocratie scandinave. Identifiée dans les années 1960-1970, occasionnellement explorée mais seulement fouillée avec méthode entre 2019 et 2021, l’épave renfermait des végétaux dans des compartiments séparés, preuve supplémentaire de l’attention dont ils bénéficiaient. L’étude des restes indique leur haute qualité : ainsi, les pistils de safran font 2,36 centimètres de long, dimension proches des critères modernes exigés (entre 2,5 et 3,5 centimètres) ; ils étaient sans doute rangés dans un contenant textile aujourd’hui disparu. Pour le moment, nous ne savons pas comment tous ces végétaux (céréales, oléagineux, fruits, plantes, graines et noix) étaient conditionnés et s’ils étaient destinés à un usage alimentaire ou médicinal. Seule la jusquiame, plante toxique, n’était sans doute pas absorbée (ou alors, le roi faisait-il fabriquer du poison ?) et semble avoir été restreinte à des préparations curatives ou magiques (?).
Rares et infiniment précieux
Leur provenance était soit locale, comme le concombre (retrouvé dans les selles fossiles de latrines médiévales de Scandinavie) ou les graines de moutarde, soit plus lointaine, comme le safran, les clous de girofle, le gingembre et le poivre noir, arrivés depuis la Méditerranée (pour le safran), l’Asie (le sud de l’Inde pour le poivre noir), via les marchands allemands de la ligue hanséatique. Tous ces mets très rares et infiniment précieux (une portion de safran représentait neuf mois de salaire pour un officier naval en fin de carrière ou dix-huit mois de salaire pour un simple marin) semblent avoir été consommés régulièrement par Sa Majesté, qui souhaitait donc en « mettre plein la vue » à ses opposants politiques. Hélas, n’en profitèrent que les poissons…
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
LARSSON M., FOLEY B., 2023, « The king’s spice cabinet–Plant remains from Gribshunden, a 15th century royal shipwreck in the Baltic Sea », PLoS ONE, 18 (1) : e0281010. Doi : 10.1371/journal. pone.0281010