
Une fouille récente dans un diverticule de la grotte de Niaux a mis au jour un possible dépôt, avec une patte arrière droite de bouquetin associée à de l’ocre rouge. Probablement emballée dans un contenant, elle fut placée là entre – 14 000 et – 15 000 ans. Une découverte singulière qui en rappelle beaucoup d’autres.
La patte du bouquetin découverte dans la grotte de Niaux pourrait résulter d’un abandon accidentel ou volontaire – en vue de se débarrasser d’un déchet alimentaire. Mais pourquoi dans cet endroit ? Cette trouvaille en évoque une autre, connue depuis 1927, dans la grotte de Bédeilhac, toujours en Ariège. Une personne (femme ou homme ?) y est rentrée, s’est engagée dans la galerie des Empreintes, et après 150 mètres de progression difficile, dont 30 mètres de reptation, s’est couchée à plat ventre puis a déposé la patte à bout de bras. Cette fois, plus de doute : il ne peut s’agir de restes alimentaires d’humains ou de prédateurs, et encore moins ceux d’un jeu.
Des dépôts répandus
Les dépôts d’objets ne sont pas rares en grotte ornée, surtout dans les Pyrénées, de part et d’autre de la frontière avec l’Espagne. Dans sa thèse soutenue en 2012, Magali Peyroux en a recensé 688 dans 42 cavités, de la Bourgogne aux Asturies. 280 dépôts d’os, de silex, de dents ou de colorants ont été enregistrés dans la seule grotte d’Isturitz (Pyrénées-Atlantiques). Ces dépôts sont donc généralement constitués de pièces lithiques (éclats, outils, nucléus) et osseuses (esquilles, fragments d’os longs), voire de fossiles, fichés de force ou placés dans les fissures ou certains reliefs des parois, déposés ou enfoncés dans le sol. Dans certains cas exceptionnels, les Paléolithiques abandonnent des cadavres d’animaux : outre ces pattes de bouquetins, nous connaissons un serpent au Tuc d’Audoubert, un autre à Montespan (Ariège), tous les deux privés de leur tête, deux autres (tronçonnés) à Chauvet (Ardèche), un saumon dans la grotte de Fontanet (Ariège), ainsi que des fragments en connexion anatomique d’un cervidé à Las Chimeneas (Espagne). Dans la galerie du réseau supérieur du Tuc d’Audoubert, les Magdaléniens ont déposé contre la paroi des dents percées et de l’ocre rouge. Parfois même, ce sont des crânes d’animaux, comme aux Trois-Frères (crânes de renard et d’ours) ou à Chauvet (ours). Citons enfin la vertèbre de gros bovidé, logée dans une fissure de la grotte d’Altxerri B (Espagne). Signalons également des dépôts d’œuvres d’art : les dix-neuf contours découpés de Labastide (Hautes-Pyrénées), la Vénus du Courbet (Tarn), associée peut-être à des ossements de rennes, celle de Tursac (Dordogne), enterrée avec une patte avant de jeune bison, et enfin les deux fragments de propulseurs au thème du « faon à l’oiseau », retrouvés à Bédeilhac et au Mas-d’Azil (Ariège).
Les restes d’un rituel ?
Ces dépôts sont trop nombreux à présent pour être qualifiés d’accidentels. Certains ont nécessité un effort manifeste ; ils ne semblent pas non plus avoir de raison pratique immédiate. Pourquoi un tel acte ? S’agit-il d’un rituel destiné à revitaliser la faune, dans le cadre d’un grand mythe d’émergence des êtres vivants depuis le monde souterrain, comme l’a récemment proposé Jean-Loïc Le Quellec ? Cela témoigne en tout cas que, dans une grotte ornée, observer les parois ne suffit pas.
Jacques Daniel
Pour aller plus loin :
LE GUILLOU Y., ARCEREDILLO D., 2022, « Dépôts magdaléniens de pattes de bouquetins dansles grottes de Niaux et de Bédeilhac (Ariège, France). Une possible pratique rituelle », Préhistoire, Art et Sociétés, LXXII, p. 13-63.
LE QUELLEC J.-L., 2022, La caverne originelle. Art, mythes et premières humanités, Paris, La Découverte.
PEYROUX M., 2002, Les dépôts d’objets pariétaux des grottes ornées au Paléolithique supérieur : gestes, comportements symboliques, cultures, mémoire de doctorat de l’université Bordeaux-1.