![Nucléus à lames. © Gaëlle Pertuisot, Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Fig.-12.jpg)
Dans le cadre des fouilles préventives menées par l’Inrap avant l’aménagement d’un échangeur autoroutier sur l’A6 au nord de Chalon-sur-Saône, a été mis au jour un campement de chasse de plein air, daté vers 24 000-22 000 avant notre ère, au Solutréen ancien (Paléolithique supérieur). Le site du dernier maximum glaciaire est d’autant plus remarquable que la période est très peu documentée archéologiquement dans la région ; ailleurs en France, elle est présente seulement à travers des sites de grottes ou d’abris sous roche.
Pour Jean-Baptiste Lajoux, responsable scientifique de la fouille à l’Inrap, la préservation du site de Fragnes-La Loyère et sa découverte « tiennent d’un petit miracle » : « La parcelle que nous avons fouillée se trouve le long de l’autoroute construite à la fin des années 1960 et, qui plus est, dans une zone largement aménagée. » Dans cet espace entouré de bâtiments où sont effectués les diagnostics en octobre 2022, l’une des tranchées révèle un petit ensemble caractéristique de quelque 300 silex : « Il aurait suffi que la tranchée soit réalisée à peine plus loin pour que nous passions totalement à côté ! s’enthousiasme l’archéologue. Par chance, elle a touché le bord de la concentration de silex. » Les fouilles menées un an plus tard sur prescription de la Drac Bourgogne-Franche-Comté sur une emprise de 6 000 m2 mettent au jour l’ensemble de la concentration, rassemblant pas moins de 4 300 objets lithiques, sur une superficie de 40 m2. « Les densités étaient très élevées, souvent supérieures à 250 au mètre carré, ce qui montre que le site n’avait pas été trop perturbé », précise le responsable des opérations. Cette absence de dispersion était d’autant plus remarquable que le mobilier était situé à moins de 50 centimètres en-dessous de la surface du sol.
![Vue aérienne de la fouille archéologique du site de Fragnes-La Loyère. Au fond, la vallée de la Thalie ; à gauche, les travaux de l’échangeur autoroutier et à droite, l’autoroute A6. © Jérôme Berthet, Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Fig.-1.jpg)
Datation stratigraphique
L’analyse stratigraphique a permis d’expliquer la (bonne) conservation à cette faible profondeur – et également de proposer une première datation du site en l’absence de tout reste osseux et de recours au carbone 14. Le versant à faible pente du val de Saône, où se sont installés les Solutréens, est composé de dépôts lacustres issus d’un ancien lac glaciaire : au moment du réchauffement interglaciaire (vers 130 000 avant notre ère), ce lac s’est vidangé ; puis les dépôts ont été grignotés par les eaux de la Thalie, un affluent du Rhône (vers 33 000 ans), aboutissant à la formation du versant. Lors de la nouvelle phase glaciaire qui a suivi, le niveau archéologique (24 000-22 000 avant notre ère) a été fossilisé grâce au dépôt de plusieurs mètres, voire plusieurs dizaines de mètres de limons éoliens, ensuite fortement érodés, sans doute à partir de l’Âge du bronze sous l’effet de la mise en culture.
![Fouille en cours du niveau solutréen. © Gaëlle Pertuisot, Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Fig.-5.jpg)
Un atelier de chasse spécialisé
Sur les 4 300 pièces lithiques exhumées, se trouvent une vingtaine de nucléus – ces blocs de silex à partir desquels les lames sont débitées –, des déchets techniques issus de la production, ainsi que des lames brutes ou transformées en outils – lames appointées de type « pointes à face plane » et burins (outils de travail des matières osseuses et des bois de cervidés). « Les techniques sont caractéristiques du Solutréen ancien, poursuit l’archéologue. Avec notamment l’utilisation de percuteurs en pierre tendre (du grès) ou les méthodes de retouche, qui ne sont pas celles des fameuses feuilles de laurier du Solutréen récent. On constate que l’outillage est peu diversifié : il témoigne donc d’un atelier spécialisé dans la fabrication et la réparation d’équipements de chasse, et sans doute aussi dans la mise en pièce des carcasses des animaux chassés – principalement des rennes, des chevaux, des bisons à cette période du maximum glaciaire, où la région était parcourue de vastes steppes froides. Il faut s’imaginer un campement de chasse ponctuel, utilisé par un petit groupe d’individus ; l’ensemble des pièces lithiques correspond à une ou deux journées de travail d’un tailleur de silex ! »
![Pointe à face plane. © Gaëlle Pertuisot, Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/01/Fig.-13.jpg)
Organisation du campement
Ce campement de plein air était sans doute aménagé avec un abri (une tente faite de peaux ?), ce que suggère la présence de gros galets de quartzite disposés pour partie en arc-de-cercle en limite de la concentration. « Ces galets ont été apportés intentionnellement, sans doute depuis le lit de la Saône, et ils ont pu servir à caler une superstructure. Ils ont sans doute eu aussi d’autres fonctions : certains ont subi un choc thermique qui les a fait éclater, d’autres de retouches ; les premiers ont pu être utilisés par les chasseurs pour se chauffer ou cuire les aliments, les seconds comme macro-outils. »
Un potentiel d’étude remarquable
Grâce à la très bonne conservation du site et à sa taille limitée permettant une analyse très fine, toutes ces données recèlent un potentiel d’étude remarquable : les archéologues chercheront notamment à reconstituer les techniques de taille en procédant au remontage des pièces, à déterminer leur usage (découpe, armature de projectile par exemple) à partir des micro-traces ou encore à restituer l’organisation spatiale du campement. L’analyse chrono-stratigraphique permettra peut-être, quant à elle, de comprendre pourquoi si peu de sites de cette période-là nous sont parvenus.
Alice Tillier-Chevallier