L’état des connaissances sur un thème majeur de l’archéologie

Un traité d’astronomie grec réapparaît dans un codex chrétien du Sinaï

Un feuillet du Codex Climaci Rescriptus. © P. Malik
Un feuillet du Codex Climaci Rescriptus. © P. Malik

Si des écrits antiques mentionnaient son existence, le catalogue d’étoiles d’Hipparque restait introuvable. Plus de 2 000 ans après sa rédaction, pas un seul extrait n’en avait été formellement identifié. Des passages traitant de quatre constellations viennent d’être découverts grâce à l’analyse multispectrale d’un grimoire, dont les pages sont issues de parchemins plus anciens au contenu effacé pour laisser la place au nouveau texte.

Au IIe siècle avant J.-C., l’astronome grec Hipparque s’est lancé dans la mesure des positions de toutes les étoiles visibles. Son catalogue, considéré comme la plus ancienne tentative d’une cartographie exhaustive du ciel, est mentionné par plusieurs sources antiques, dont Ptolémée qui, trois siècles plus tard, s’en serait inspiré pour son propre traité d’astronomie et de mathématiques : l’Almageste.

Un traité d’astronomie disparu…

Si ce dernier nous est parvenu, notamment grâce à des sources arabes, le catalogue d’étoiles d’Hipparque restait entouré de mystères. Certains chercheurs ont même commencé à douter de son existence, tant il semblait impossible de mettre la main sur la moindre trace concrète. Deux mille ans après sa rédaction, le légendaire traité d’astronomie vient cependant de refaire surface, sous la forme de fragments abordant la position de quatre constellations. Il faut dire qu’il était bien caché, dans les pages d’un traité du VIIe siècle longtemps conservé au monastère Sainte-Catherine du Sinaï avant d’être dispersé dans diverses collections. Niché sur les flancs de la plus haute montagne d’Égypte, ce monastère chrétien est l’un des plus anciens encore actuellement en activité. Des travaux, publiés au mois d’octobre dans le Journal for the History of Astronomy par des philologues du Centre Léon Robin de recherche sur la pensée antique (CNRS / Sorbonne Université) et du Centre d’études bibliques Tyndale House à Cambridge, expliquent l’histoire fascinante de cette découverte.

Le monastère Sainte-Catherine du Sinaï (Égypte). © Adobe Stock / Bildlove
Le monastère Sainte-Catherine du Sinaï (Égypte). © Adobe Stock / Bildlove

… qui réapparaît dans un palimpseste

En effet, quel peut être le lien entre un traité d’astronomie de la Grèce antique et le Codex Climaci Rescriptus, L’Échelle du Paradis, rédigé près de huit siècles plus tard par le saint chrétien Jean Climaque ? Le grimoire du Sinaï est en fait un palimpseste : il est composé de pages réutilisées, dont les inscriptions originelles ont été effacées pour économiser du parchemin. « On sait depuis la fin du XIXe que le Codex Climaci Rescriptus recouvre des textes en grec et en araméen anciens, soit la langue de Jésus Christ, précise Victor Gysembergh du Centre Léon Robin et co-auteur de ces travaux. Comme certains passages laissent entrevoir du contenu religieux, le musée de la Bible de Washington a lancé un projet d’imagerie multispectrale sur les pages du codex présentes dans ses collections. On ne s’attendait pas à trouver dans ces feuillets, recyclés par les moines à partir d’une douzaine de manuscrits différents, des fragments d’un traité d’astronomie, et encore moins du catalogue d’étoiles d’Hipparque ! »

Les révélations de l’imagerie multispectrale

L’imagerie multispectrale consiste à photographier un artéfact en changeant la longueur d’onde de l’éclairage à chaque prise. La lumière peut aussi être orientée différemment, par exemple venir du dessous pour voir au travers du parchemin. Pour chaque page du codex analysée, une cinquantaine de clichés ont ainsi été pris, puis traités informatiquement. Ils révèlent des traces d’encre, souvent invisibles à l’œil nu et qui ne sont pas de la même nature que le texte du palimpseste. Cette opération de grande précision a été conduite à l’Institut de technologie de Rochester (États-Unis), puis ses résultats ont été transmis aux philologues, qui ont déchiffré et traduit les textes effacés. « Nous avons ainsi découvert les mesures d’Hipparque sur la constellation de la Couronne boréale, explique-t-il. Nous avons ensuite comparé ce premier fragment authentifié à des éléments retrouvés dans divers autres manuscrits, ce qui nous a permis de relier au fameux catalogue trois passages, traduits en mauvais latin, d’un traité d’astronomie rédigé en France au VIIIe siècle : l’Aratus Latinus. » Ils concernent les constellations du Dragon, ainsi que de la Grande et de la Petite Ourse.

De nouvelles questions

Bien que le catalogue ne soit pas complet, ces quatre extraits sont riches en enseignements. Ils montrent qu’Hipparque utilisait des coordonnées équatoriales, un système combinant altitude et longitude encore employé aujourd’hui. Les mesures se sont révélées exactes au degré près, ce qui est considéré comme la précision maximale humainement possible à l’œil nu. Hipparque ne disposait en effet pas d’instruments grossissants. Ses coordonnées sont d’ailleurs plus exactes que celles de Ptolémée, indiquant que ce dernier a bien réalisé ses propres mesures et n’a pas recopié celles d’Hipparque. « Nous n’avons cependant qu’un petit échantillon du catalogue, peut-être que nous trouverons plus tard des fragments où Hipparque est moins précis, tempère Victor Gysembergh. Mais pour l’instant, l’absence d’erreur dans ses mesures impressionne et ouvre de nombreuses questions sur la manière dont l’astronomie était pratiquée pendant l’Antiquité : Hipparque a-t-il été aidé afin de multiplier les mesures ? D’où les prenait-il ? De quels instruments disposait-il vraiment ? Était-il soutenu par un mécène ? »

Martin Koppe


À lire :
L’étude complète : GYSEMBERGH (V.), WILLIAMS (P. J.) et ZINGG (E.) – New Evidence for Hipparchus’ Star Catalogue Revealed by Multispectral Imaging, dans Journal for the History of Astronomy, le 18 octobre 2022.

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