Il sera beaucoup question de sport en France tout au long de l’année 2024, en raison de la tenue à Paris des Jeux olympiques, institution traditionnelle de la Grèce antique réinventée à la fin du XIXe siècle, comme on sait, par Pierre de Coubertin. Mais à quand remonte le « sport » ? Le mot nous vient, via l’anglais, du vieux français « déport », qui signifiait « divertissement », par un même trajet que le tennis (du français « tenez ») ou le flirt (du français « fleurette »), entre autres.
Le sport se rapproche du jeu, même si tous les jeux ne supposent pas un engagement physique, et la plupart des mammifères, ou du moins les plus jeunes, jouent d’une manière ou d’une autre. Les jeux ont normalement des règles, plus ou moins strictes, tout comme les sports. Et comme pour les jeux, les sports se déroulent souvent dans la compétition, sauf s’ils sont pratiqués de manière individuelle, dans un but en général hygiéniste.
Sports et jeux
Les observations ethnologiques montrent que la plupart des sociétés pratiquent des formes de jeux sportifs, souvent compétitifs, comme le bouzkachi afghan, cette lutte à cheval pour la possession d’une carcasse de chèvre, dont le polo britannique est une forme policée. Ce sont d’ailleurs les membres désœuvrés de la haute société britannique qui codifieront à partir du XIXe siècle un grand nombre de nos sports modernes, quand ils ne les ont pas purement et simplement inventés, comme l’alpinisme par exemple.
Des activités utilitaires ritualisées
Dès que nous disposons des sources écrites de sociétés antiques étatiques, nous repérons des formes de compétitions sportives déjà bien réglées et encadrées, dont les Jeux olympiques originels sont la forme la plus emblématique. Ces sociétés nous ont laissé en outre des vestiges archéologiques souvent monumentaux, liés aux jeux sportifs et compétitifs, comme les cirques et les amphithéâtres du monde romain, ou encore les jeux de balles du monde amérindien. Le christianisme, en instaurant la réprobation sur le corps, fera passer à l’arrière-plan ces pratiques physiques, même si la paysannerie continuera divers divertissements à sa modeste échelle, tandis que l’aristocratie masculine mettra en scène au travers des tournois, à cheval comme à pied, prestige et vaillance guerrière. De fait, beaucoup d’épreuves sportives ne font en général que ritualiser des activités à l’origine utilitaires, comme la chasse, la guerre ou les différentes manières de se déplacer, en courant à pied, ou à cheval ou sur un char, par exemple.
Les « techniques du corps »
Aussi, si nous ne pouvons pas dire grand-chose sur les sports des sociétés préhistoriques et protohistoriques, lesquelles se passaient fort bien de l’écriture, nous pouvons du moins nous interroger sur ce que l’on appelle les « techniques du corps ». Ce terme a été mis en lumière lors d’une célèbre conférence prononcée en 1934 par l’anthropologue français Marcel Mauss, et publiée en 1936. Pour Mauss en effet, les gestes nécessaires de la vie quotidienne sont aussi culturels, résultats d’un dressage, des manières de marcher ou de travailler jusqu’aux positions sexuelles. Or si nous ne pouvons plus observer les gestes préhistoriques, du moins pouvons-nous en étudier les effets sur les corps, ou plus précisément sur les squelettes parvenus jusqu’à nous.
Division sexuelle du travail
Sans remonter aux australopithèques, dont la morphologie montre qu’ils grimpaient encore aux arbres sans problème (Lucy serait même morte en tombant d’un arbre), les marques sur les squelettes d’Homo sapiens enrichissent le débat sur la division sexuelle du travail. En effet, on constate que les hommes (mâles) ont développé une musculature du bras droit indiquant le lancer de javelot et le tir à l’arc, ce qui n’est pas le cas pour les femmes, ceci en accord avec les observations ethnologiques faites naguère par l’anthropologue Alain Testart – et malgré des propositions contraires, au moins pour les Amériques, mais encore peu probantes (voir Archéologia no 597, p. 8-9). On note aussi des usures dentaires qui semblent liées au fait de tirer des fils dans le cadre de la couture des vêtements en peaux.
Jean-Paul Demoule
Ancien président-fondateur de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap)
Professeur émérite à l’université de Paris I et à l’Institut universitaire de France.
Article à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 627 (janvier 2024)
Quand l’humanité était plurielle
81 p., 11 €.
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