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Une mission internationale sous l’égide de l’Unesco

Un groupe d’amphores dans l’épave D du canal de Sicile. © V. Creuze, ROV Drassm, Unesco
Un groupe d’amphores dans l’épave D du canal de Sicile. © V. Creuze, ROV Drassm, Unesco

Pour la première fois, une mission archéologique internationale a réuni, dans le canal de Sicile et sur le banc des Esquerquis, sous l’égide de l’Unesco, une vingtaine de scientifiques issus de huit pays des deux rives de la Méditerranée : Algérie, Croatie, Égypte, Espagne, France, Italie, Maroc et Tunisie. Ce projet inédit de coopération avait pour but d’explorer plusieurs sites immergés.

La mission s’est donc déroulée pendant 14 jours, à bord du navire scientifique français l’Alfred Merlin, du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) dans les eaux internationales – d’abord sur le plateau continental italien, sous la coordination de l’Italie, puis sur le plateau continental tunisien, sous la coordination de la Tunisie. La fragilité de la zone archéologique ayant été signalée par l’Italie dès 2018, les huit États, signataires de la Convention de 2001 de l’Unesco sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, ont manifesté leur intérêt à être consultés ensemble sur les moyens d’assurer la protection efficace du site, comme prévu par cette Convention. Or c’est la première fois, depuis la ratification, que ce mécanisme de coopération est mis en œuvre !

Deux zones de fouilles

La mission ne prévoyait que l’utilisation de moyens technologiques sans plongée humaine, avec des méthodologies adaptées à la géographie du fond et aux objectifs spécifiques préétablis pour les deux zones prospectées. Sur le plateau continental italien, seul le nouveau ROV (robot télécommandé) Arthur du Drassm a été employé. Conçu et construit avec la collaboration de Vincent Creuze du Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (LIRMM), ce prototype peut atteindre une profondeur de 2 500 mètres, effectuer des vidéos haute définition et des couvertures photos pour la photogrammétrie, mais aussi nettoyer et aspirer du sédiment. En quelques jours d’exploration, Arthur a pu documenter, à 700 et 850 mètres de profondeur, trois des huit épaves déjà découvertes par les missions américaines des années 1980-2003, dirigées par Robert Ballard et Anna Marguerite McCann, et datées de l’époque romaine (milieu du Ier siècle avant notre ère-Ier siècle de notre ère). Elles présentent pratiquement le même état de conservation qu’il y a près de 30 ans : elles n’ont pas été altérées par la sédimentation, la bioérosion ou les activités humaines (filets de pêche, pillages…). Les nouvelles recherches ont permis d’acquérir des données supplémentaires et de documenter dans certains cas des parties des sites restées inconnues jusqu’alors.

Prospection sur le banc des Esquerquis

Quant aux recherches sur le banc des Esquerquis, sur le plateau continental tunisien, elles ont été articulées en deux phases. Une première large prospection des fonds jusqu’à environ 130 mètres de profondeur a été menée avec le sondeur multifaisceaux dont est doté l’Alfred Merlin : 10 km2 de surface ont été ainsi couverts sur le banc, dont une zone de 2 km2 prospectée en haute définition. Puis, le robot Hilarion, apte à l’exploration sous-marine jusqu’à 500 mètres de fond, a, lui, vérifié et documenté une série de cibles détectées dans la zone nouvellement cartographiée. Autour du récif Keith a ainsi été réalisée, pour la première fois, une carte bathymétrique détaillée des fonds mettant en évidence des traces de patrimoine culturel sous-marin. Ont alors été découvertes et renseignées trois nouvelles épaves datant de l’Antiquité à la période contemporaine.

Le banc des Esquerquis : un cimetière de navires

Le banc des Esquerquis est situé dans le détroit de Sicile (également dénommé canal de Sicile et canal du Cap-Bon), le long d’une des routes maritimes les plus fréquentées de la Méditerranée, mais aussi l’une des plus périlleuses. Les eaux peu profondes et les fonds marins rocheux qui se cachent à moins d’un mètre sous la surface ont causé de nombreux naufrages pendant des milliers d’années. Au cours des dernières décennies, des plongeurs amateurs ont pillé certaines épaves et ont mis en péril cette précieuse ressource historique en la fragilisant, en détruisant le contexte scientifique indispensable aux fouilles et en alimentant le trafic illicite de biens culturels, l’un des carburants du crime organisé dans le monde.

Des études à venir

D’ici le début de l’année prochaine, les archéologues impliqués dans le projet se réuniront à l’Unesco pour dévoiler leurs premières analyses au grand public et à la presse. Un rapport complet et détaillé sera présenté ultérieurement aux États membres de l’Unesco et parties (71 États au 27 septembre 2022) de la Convention de 2001. Il s’agit, en matière patrimoniale, de la première étape d’une relation durable de coopération multilatérale en Méditerranée. En Italie, la Soprintendenza Nazionale del mare (ministère de la Culture) a prévu de réaliser la restitution de la photogrammétrie des épaves documentées sur le plateau continental italien en utilisant les vidéos enregistrées par Arthur. Les archéologues recommandent aussi de poursuivre la cartographie de la zone du banc des Esquerquis. La suite du projet pourrait prendre de multiples formes : une conférence scientifique, des missions de suivi dans les zones déjà explorées voire élargies, mais aussi l’engagement d’une réflexion concrète sur la protection juridique et pratique de ces sites ainsi qu’une meilleure sensibilisation du public, des plaisanciers et des industriels de la pêche à la fragilité et à la nature souvent exceptionnelle et non renouvelable de ce patrimoine. Cette mission est à la fois une expérience inédite et un exemple de bonne pratique à partager pour l’étude, la protection et la promotion du patrimoine culturel subaquatique dans les eaux internationales, objectifs principaux de la Convention de 2001.

Unesco et Drassm
Personnes référentes : Alison Faynot, Édouard Planche, Franca Cibecchini, Arnaud Schaumasse

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