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De Jacques Monory à Gérard Fromanger : (re)découvrez la Figuration narrative à Dole

Gérard Fromanger (1939-2021), Quel est le fond de votre pensée ?, 1973. Huile sur toile, 200 x 300 cm. Dole, musée des Beaux-Arts, dépôt du Centre national des arts plastiques.

Gérard Fromanger (1939-2021), Quel est le fond de votre pensée ?, 1973. Huile sur toile, 200 x 300 cm. Dole, musée des Beaux-Arts, dépôt du Centre national des arts plastiques. Photo service de presse. © P. Guenat

Le musée des Beaux-Arts de Dole rassemble quelque 70 œuvres illustrant la naissance, dans les années 1960 et 1970, d’une nouvelle figuration, portée par des peintres comme Gilles Aillaud, Bernard Rancillac, Jacques Monory ou Gérard Fromanger. Les collections du musée, dans lesquelles ils occupent une place de choix, entrent en résonance avec une cinquantaine de tableaux prêtés par le collectionneur Dominique Desfontaines.

La Figuration narrative n’est pas un mouvement organisé autour d’un manifeste commun. Les artistes qui y furent associés sont, au contraire, très divers dans leurs intentions comme dans leurs styles picturaux. Comme l’écrit dans le catalogue de l’exposition Dominique Desfontaines, qui a prêté des œuvres au musée des Beaux-Arts de Dole : « Leurs auteurs donnent à leurs peintures un statut à la fois onirique et ancré dans leur présent. […] Elles racontent des histoires où s’effacent les barrières entre le réel et l’imaginaire. » Les tableaux de sa collection témoignent de l’ampleur du courant, né au début des années 1960 et épanoui dans plusieurs pays d’Europe. Leur point commun : le choix d’introduire, dans le tableau, la durée et le récit.

« Les artistes de la Figuration narrative, même lorsqu’ils ne traitent apparemment que de leur subjectivité, sont avant tout engagés dans un combat que l’on peut qualifier de politique. »

Jean-Luc Chalumeau, historien et critique d’art, dans le catalogue de l’exposition

Une nouvelle peinture d’histoire

La Figuration narrative réhabilite la peinture d’histoire en prenant pour sujet la société et les tragédies contemporaines, telles que la guerre au Vietnâm. En 1968, année contestataire par excellence, le soutien au peuple vietnamien est au cœur du Salon de la jeune peinture. Bernard Alleaume (1930-1998) y participe avec Salle rouge pour le Vietnâm, une œuvre dénonçant sans détour la guerre menée par les États-Unis. La bataille s’y livre par drapeaux interposés : celui du Front de libération du Sud Vietnâm occupe presque toute la surface de la toile, symbolisant l’espoir d’une victoire vietnamienne, tandis que les rayures de la Bannière étoilée américaine se prolongent, à gauche, dans celles du drapeau de la République du Vietnâm du Sud, qui occupait les pensées des combattants et des exilés.

Bernard Alleaume (1930-1998), Salle rouge pour le Vietnâm, 1968. Huile sur toile, 189 x 199 cm. Dole, musée des Beaux-Arts.

Bernard Alleaume (1930-1998), Salle rouge pour le Vietnâm, 1968. Huile sur toile, 189 x 199 cm. Dole, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © P. Guenat

Pouvoir et énergie de la couleur

« J’ai très vite choisi comme alphabet le spectre des couleurs », affirmait Gérard Fromanger (1939-2021) dans un entretien réalisé à l’occasion de sa rétrospective au Centre Pompidou. La couleur est, dans son œuvre, l’expression d’une énergie et d’une individualité, que l’artiste emploie dans ses tableaux réalisés d’après des photographies prises dans la rue, tels Quel est le fond de votre pensée ? (voir plus haut) et Midi et demi, de la série Boulevard des Italiens. Elle rend les individus égaux en effaçant les différences. La foule anonyme des passants et les éléments du décor urbain ont passionné Fromanger, soucieux de peindre le monde réel dans toute sa complexité. Inspiré par la photographie, les journaux, la publicité, Bernard Rancillac (1931-2021) emploie lui aussi de vives couleurs, comme dans Notre Sainte Mère la vache, où se téléscopent l’image immédiatement reconnaissable d’une boîte de « Vache qui rit » et un paysage désertique, où évoluent deux personnages vivant loin de l’abondance des pays riches.

Gérard Fromanger (1939-2021), Midi et demi – Série Boulevard des Italiens, 1971. Huile sur toile, 100 x 100 cm. Eur’Art – fonds de dotation pour la création européenne.

Gérard Fromanger (1939-2021), Midi et demi – Série Boulevard des Italiens, 1971. Huile sur toile, 100 x 100 cm. Eur’Art – fonds de dotation pour la création européenne. Photo service de presse. © Jérôme Combe /AfA

La narration au cœur de l’image

Pour Gilles Aillaud (1928-2005), poser un regard critique sur la société contemporaine passe par la représentation de l’enfermement : celle d’animaux dont les enclos sont vus de près, comme si le spectateur visitait un zoo. C’est le cas dans Montée de rochers dont la perspective ascendante donne l’illusion d’une liberté possible. L’artiste représente moins les animaux eux-mêmes que notre rapport avec ces autres êtres vivants, nous invitant à remettre en cause l’idée de domination et de possession. Jacques Monory (1924-2018) propose un autre type de narration. En évoquant le cinéma autant que le roman noir, l’artiste parvient à introduire dans ses tableaux une tension et un mystère qu’accroît le bleu omniprésent. La représentation simultanée d’espaces différents introduit une durée, un récit se déployant dans le temps, et transporte l’imagination du spectateur d’un lieu à un autre. La solitude, la mort, la violence y sont montrées derrière le filtre d’une couleur bleue aux vertus oniriques, interrogeant la frontière entre réalité et fiction.

Jacques Monory (1924-2018), Tableau à vendre n°3, 1976. Huile sur toile, 92 x 65 cm. Eur’Art – fonds de dotation pour la création européenne.

Jacques Monory (1924-2018), Tableau à vendre n°3, 1976. Huile sur toile, 92 x 65 cm. Eur’Art – fonds de dotation pour la création européenne. © ADAGP Paris 2025. Photo service de presse © Jérôme Combe /AfA

« Tous très marqués par la “pensée 68” […], ils ont compris que le potentiel subversif de leurs œuvres devait tenir dans leur dimension esthétique bien davantage que dans un discours plus ou moins explicite. »

Jean-Luc Chalumeau

Les collections permanentes sous le signe de la couleur

Le musée des Beaux-Arts de Dole a inauguré en même temps que l’exposition « Regards actuels sur la Figuration narrative » un nouveau parcours présentant ses riches collections permanentes. Hormis celles évoquant l’histoire de la ville, accrochées au rez-de-chaussée, les œuvres sont réunies à l’étage par affinités de couleurs et sans considération de la chronologie, mêlant sculptures du Moyen Âge, paysage de Courbet, série de Fromanger ou grande toile de Nina Childress. Des couleurs primaires au brun, au noir ou au rose, ce parcours éclaire les visiteurs sur le rôle et les significations des couleurs dans l’art – y compris les plus jeunes, grâce aux cartels qui leur sont dédiés.

La salle de la couleur jaune au musée des Beaux-Arts de Dole.

La salle de la couleur jaune au musée des Beaux-Arts de Dole. © Actu-culture.com / L.C.

« Regards actuels sur la Figuration narrative », jusqu’au 5 octobre 2025 au musée des Beaux-Arts de Dole, 85 rue des arènes, 39100 Dole. linktr.ee/mba_dole

Deux autres versions de l’exposition seront ensuite présentées au musée des Beaux-Arts de Chambéry, puis au musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun.

Catalogue, éditions La Fabrique Centre d’Art, 138 p., 25 €.